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ont greffé une seconde : nous voulons parler de la célèbre théorie de Malthus relative à l’accroissement de la population. D’après le savant anglais, le mouvement de la population, partout où il n’est pas limité par l’exiguïté du territoire ou l’insuffisance des produits, suit la progression géométrique et double tous les vingts cinq ans, en sorte que, au bout d’un siècle, en s’en tenant aux moyennes, les étapes franchies sont représentées par les chiffres 1, 2, 4, 8. La production s’accroît bien aussi de son côté, mais beaucoup plus lentement, car au lieu de suivre la progression géométrique, elle obéit à la progression arithmétique : 1, 2, 3, 4. Dans l’espace d’un siècle, la population grandit jusqu’à former huit fois ce qu’elle était au point de départ, pendant que les subsistances ne font que quadrupler. L’équilibre est ainsi rompu. Mais c’est uniquement la faute de l’homme, qui, méconnaissant le vœu de la nature et manquant à toute prévoyance, croit et multiplie avec une rapidité absolument anormale, surtout au sein des classes pauvres, qui se chargent de familles qu’elles sont souvent incapables d’élever.

Ainsi raisonnait Malthus, aux grands applaudissemens des classes aisées, tout heureuses de pouvoir jouir de leur bien-être en bonne conscience et sans avoir trop de reproches à se faire. Mais Malthus ne voyait pas juste, car la production s’accroît plus vite qu’il ne le pensait. Un homme qui arrive dans le monde est, en effet, un producteur, plus encore qu’un consommateur. Pour une bouche à nourrir, n’apporte-t-il pas deux bras pour travailler ?

Voici quelle est notre explication du problème. L’ensemble de la production dépend de trois facteurs : la terre, le travail et le capital. Au premier va la rente foncière, au second le salaire, au troisième l’intérêt. Que l’un de ces associés élève ses prétentions et réussisse à augmenter ses avantages, ce ne peut être qu’au détriment des deux autres. Or, que se passe-t-il à mesure qu’une contrée entre dans le mouvement de la civilisation ? Au début, l’argent porte un gros intérêt, et le travail obtient un fort salaire. Puis, insensiblement, l’intérêt et le salaire baissent, mais, en revanche, la terre renchérit à mesure que son rendement s’élève.

Le progrès a donc pour résultat final de faire monter le prix du sol. C’est-là la vraie explication du problème. L’antagonisme n’est pas entre le travail et le capital, ainsi qu’on l’a cru souvent, mais entre le travail et la terre.

Mais à cela que faire ? Nous répondons sans hésiter : détruire l’obstacle qui s’oppose à une juste répartition de la richesse. Le moyen est héroïque, il faut bien le reconnaître ; il change toutes nos habitudes et bouleverse toutes nos idées : ce n’est rien moins qu’une révolution à accomplir. Aussi, avant d’en venir là, nous