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à la grande propriété foncière. Nous citons textuellement : « Si vous taxez les grands domaines jusqu’à absorption de leur rendement, il deviendra impossible aux grands propriétaires de retenir plus longtemps tous leurs biens ; ils se verront obligés de vendre. »

Ce premier pas fait, il en restera un second à accomplir. La loi devra interdire, pour l’avenir, la formation de propriétés d’une étendue trop considérable. Il faudra empocher le retour du fâcheux état de choses auquel on aura mis (in, au moins pour un temps. Le sol ne sera plus vendu que par lots de 40 ou de 80 acres (16 ou 32 hectares). C’est là une limite qui ne pourra être dépassée.

Nous connaissons maintenant, dans ce qu’il a d’essentiel, le catéchisme économique de M. George ; sa brochure de 1871 en renferme les élémens fondamentaux. Il renoncera, il est vrai, dans la suite, en présence surtout de difficultés d’application qui lui paraîtront insurmontables, à limiter l’étendue de terre que chacun aura le droit de posséder ; mais l’imposition du sol pour une somme égale à ce qu’il rapporte, autrement dit la confiscation du sol par l’état, qui en deviendra le seul maître et qui l’affermera ensuite dans les conditions les meilleures pour les divers intéressés, cette doctrine-là n’a pas été modifiée, et c’est aujourd’hui encore la clé de voûte du système social qui nous arrive des profondeurs du Far-West.

On a dit que le prophète de Californie (pour nous servir d’une périphrase fréquemment employée en Amérique et en Angleterre en parlant de M. George) était redevable à l’éminent penseur John Stuart Mill de l’idée de la suppression des propriétaires terriens, qui est à la base de tous ses plans de réforme. Il y a pourtant assez loin de l’économiste anglais au novateur américain. Reprenant une idée énoncée par son père dans un traité d’économie politique paru en 1821, Mill avait cherché à montrer que, si la terre est une propriété comme une autre, elle a pourtant ceci de particulier qu’elle acquiert, par le simple fait de l’accroissement de la prospérité générale, une plus-value souvent très importante. Cette hausse dans le prix des terres, à qui profite-t-elle ? A ceux qui en possèdent, et à eux seuls. Et pourtant elle n’est due à aucune initiative individuelle, mais à un ensemble de circonstances que tout le monde a contribué à amener, telles que l’accroissement de la population ou la proximité d’une ville. La plus-value dont nous parlons pourrait par conséquent être réclamée pour la collectivité, c’est-à-dire pour l’état. Mill aurait désiré que le gouvernement fit procéder, à un moment donné, à une estimation de toute la propriété foncière, et que la différence entre le prix des terres au moment de l’expertise officielle et celui qu’elles atteindraient dans