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un marin, avait émigré dans le Nouveau-Monde, au commencement du siècle, après des revers de fortune dont sa famille ne parait pas s’être entièrement relevée dans la suite. Né à Philadelphie en 1839, il passa son enfance dans la ville de William Penn, la cité de l’amour fraternel. Il y suivit les écoles, où il se fit remarquer par sa facilité pour l’étude, et, devant songer de bonne heure à s’assurer un gagne-pain, car ses parens ne pouvaient l’aider beaucoup pour son avenir, il y commença un apprentissage de typographe. Tout jeune encore, ayant fait accepter ses services à bord d’un navire en échange du prix de son passage, il se rendit en Californie, où la fièvre de l’or n’épargnait personne. C’était l’époque où de riches placers venaient d’être découverts et où d’énormes fortunes se faisaient en quelques mois. Il courut, comme tant d’autres, après le précieux métal et, s’étant procuré de l’emploi dans une mine, il descendit au fond des noires galeries ; mais ce qu’il en retira n’était pas en rapport avec ce qu’il avait espéré. Il ne tarda pas à perdre ses illusions. Il revint alors se fixer à San-Francisco et travailla dans une imprimerie, tout en trouvant encore le temps de développer ses moyens naturels et d’augmenter ses connaissances par des lectures variées, poursuivies avec méthode pendant ses heures de loisir.

Quand on a tant d’énergie, qu’on sait ce qu’on veut et que l’on est, avec cela, heureusement doué, on fait assez vite son chemin, en Amérique surtout. Bientôt, le modeste ouvrier compositeur monta en grade et mit le pied dans le journalisme. Il collabora à plusieurs journaux, il en dirigea même un ou deux dont il se laissa déloger par des associés avides ou par des politiciens qui ne le trouvaient pas assez souple et qu’il dérangeait sans doute dans leurs plans de bataille. On lui faisait payer le prix de son indépendance ou de son indiscipline. La presse, fortement monopolisée sur les bords du Pacifique, pouvait alors se débarrasser assez facilement de ceux de ses membres, quel que fût d’ailleurs leur talent, dont les allures lui déplaisaient. M. George quitta, par la force des circonstances, une carrière où ses débuts avaient été exceptionnellement brillans. Il fut rejeté vers ses études personnelles. Le journaliste allait faire place au publiciste, au chef d’école, au réformateur social.

Si nous avons relaté ces détails biographiques, c’est qu’ils nous paraissent éclairer d’une lumière particulière la genèse des idées du futur réformateur. Il n’est personne qui ne doive à ses expériences propres, à ses luttes, à ses succès ou à ses déboires la moitié au moins des opinions qu’il professe. Raconter la vie d’un homme, c’est placer les idées qu’il représente dans leur cadre naturel.

En 1871, la réputation de M. George, pour bien établie qu’elle fût dans le milieu où il exerçait son activité, n’était guère sortie de ce cercle. On le connaissait à San-Francisco et dans les environs,