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Le fond du polythéisme étant l’adoration des forces productives de la nature, il y eut toujours dans son culte des rites scabreux et des images qui devinrent obscènes, parce qu’on voulut figurer par des symboles matériels les diverses conceptions du naturalisme[1]. Pour quelques-uns, qui dans le signe extérieur ne voyaient que l’idée, combien finirent par ne plus voir que la représentation qui plaisait à leurs sens et qui leur semblait justifier le désordre en le divinisant ! Aussi Aristote dira-t-il : « Il ne doit être permis qu’aux pères de famille de célébrer les rites où la pudeur des enfans serait compromise, et il sera défendu à ceux-ci d’assister aux représentations des comédies et des drames satiriques jusqu’à ce qu’ils aient l’âge nécessaire pour se préserver eux-mêmes des mauvaises influences. Ces légendes des dieux, toutes remplies de leurs amours, forcèrent la piété et la poésie à s’arrêter avec complaisance sur des détails voluptueux et impurs, dont le moindre mal fut de priver les Grecs d’une des grâces les plus charmantes de l’art, de la pensée et du sentiment, la pudeur. Les adorateurs de Vénus n’ont guère connu l’amour chaste, et leurs poètes n’ont chanté que le plaisir. Alors, il arriva par le développement parallèle, mais en sens contraire des légendes divines et de la raison humaine, que le polythéisme tomba à cette condition, mortelle pour un culte, que la religion fut d’un côté et la morale de l’autre ; car les idées religieuses sont transitoires et changeantes comme toutes les conceptions de l’esprit, au contraire des instincts moraux, qui sont éternels, comme l’humanité, et qui se développent à mesure que la conscience de l’homme s’élève et s’épure. La lutte entre ces deux forces, quand elle éclate, est nécessairement fatale à la première.

Une dernière remarque. La vie religieuse de la Grèce a été un culte d’intérêt et ne fut jamais un culte d’amour. Comme il fallait aux ombres des morts goûter au sang d’un sacrifice pour retrouver une vie d’un moment, les dieux étaient supposés avoir besoin de victimes et d’honneurs pour conserver leur rang dans l’Olympe et

  1. Voyez, dans les Acharniens d’Aristophane, le sacrifice de Dicéopolis à Bacchus, v. 245 et suiv., et dans Origène (adv. Celsum, IV, 48), les paroles de Chrysippe au sujet de l’union de Jupiter et de Junon. Aristote, dans la Politique, VIII, 4, demandait qu’on proscrivit les peintures et les représentations obscènes ; il était cependant force d’accorder lui-même quelques exceptions, et les vases points, les figures et les traditions qui nous restent de l’antiquité montrent combien peu il fut écouté. On sait que les courtisanes de Corinthe avaient des fonctions publiques et religieuses : elles étaient chargées d’offrir à Vénus les vœux des habitans. (Athén., XIII, 32.) Et le dieu sévère de Delphes acceptait, dans son temple, les offrandes des courtisanes (Hérod., II, 135) ; Pausanias, qui n’en rougit pas, vit près du grand autel une statue dorée de « Phryné la Thespionne, » commandée par ses amans et exécutée par un d’entre eux, Praxitèle (Paus., X, 14, 7).