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celle des fruits de la terre, grossir le trésor des temples. Au Ve siècle, celui de Minerve à Athènes recevra au soixantième des tribus des alliés, soit chaque année dix talens. Aussi les temples seront-ils assez riches pour faire la banque en prêtant à gros intérêts[1]. On ne voit pas cependant que le sacerdoce païen ait jamais en à son usage privé des biens considérables comme notre ancienne Église. Les rêtres étant, dans la vie ordinaire, citoyens ou magistrats et pontifes seulement à l’autel de leurs dieux, les biens restaient attachés au temple sous une administration séculière[2] et servaient de ressource à l’état dans les nécessités publiques, au lieu de devenir la propriété d’une caste sacerdotale, qui n’exista jamais en Grèce.

  1. Une grande inscription du milieu du Ve siècle, trouvée en ces derniers temps à Eleusis, est un décret du peuple athénien, qui règle « ϰατὰ τὰ πάτρια ϰαὶ τὴν μαντείαν τὴν ἐϰ Δελφῶν » que les Athéniens et leurs alliés offriront aux dieux d’Éleusis 1/6 pour cent médimnes d’orge récolté, 1/12 pour cent médimmes de blé. « Si quelqu’un récolte annuellement plus ou moins, qu’il offre les prémices en proportion. » Le décret ajoute que l’hiérophante et le dadouque, lors des mystères, inviteront les autres cités helléniques à envoyer aussi les prémices de leurs récoltes et que le conseil d’Eleusis fera porter partout cette invitation. Ces orges et fromens, gardés dans des silos, étaient successivement vendus, et, avec le produit, on achetait des victimes pour les déesses et des offrandes pour leur temple. L’inscription se termine par l’annonce d’un autre décret sur les prémices de l’huile. On voit que le temple d’Eleusis était bien renté, puisque les prémices auxquelles il avait droit dépassaient la dîme que notre ancien clergé prélevait sur les récoltes ; mais on avait en soin de fixer quelle serait sur ce revenu la part prélevé par les prêtres et les prêtresses, ce qui ne se faisait pas dans nos églises et nos couvens. (Cf. Foncart, Inscription d’Eleusis et Bull. de corresp. hellén., t. IV, p. 225, et t. VIII, p. 194.)
  2. À Athènes, l’administration des biens de Minerve était régie par dix trésoriers annuellement élus, un par tribu. Ils dressaient l’inventaire des richesses du temple en or, argent, étoffes précieuses et tout ce qu’on appelait le ϰόσμος (kosmos) de la déesse, et ils le remettaient à leurs successeurs en séance du conseil des Cinq-Cents. Les statues les plus anciennes et souvent les plus vénérées étaient informes ; on les couvrait de bijoux, de tuniques, de voiles, de bandelettes, et leur toilette était fréquemment changée. Aussi le vestiaire d’une déesse était très encombré. L’inventaire du temple de Junon, à Samos, qui nous reste, est fort long et très curieux. (Voyez Carl Curtius Inschriften, n° 6, et Foucart, les Clérouquies, p. 387 et suiv.) Des monnaies de Samos montrent que l’usage de costumer ainsi la vieille statue de bois qui représentait liera durait encore sous l’empire romain. Cet usage, qui existe toujours dans l’Inde (Monier Williams, Religious thought in India, p. 114 et suiv.), était pratiqué pour toutes les divinités, comme il l’est encore pour les nôtres. Apulée, Met., 11, représente Isis ayant sur la tête une couronne de fleurs et un nimbe lumineux, vêtue d’une robe à couleurs changeantes et d’un manteau noir semé d’étoiles, et on a les inscriptions d’une Ornatrix Dianœ, Murat, 104, 4, et, à Nîmes, d’une ornatrix fant. (Revue épigraphique du midi de la France, 1885, n" 36, p. 149.) Ce n’était pas la déesse seule que ses fidèles couvraient de voiles magnifiques. Tout autour d’elle et au-dessus de sa tête étaient suspendues des tapisseries richement brodées. (Voyez le curieux livre de M. de Ronchaud : la Tapisserie dans l’antiquité ; la Peplos d’Athéné ; la Décoration intérieure du Parthénon, 1884.