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agitaient les bras, les yeux, leurs armes ; c’étaient de grands signes. Dans ces temples, foyers de la superstition populaire, tout s’animait et parlait ; il y avait même des miracles périodiques : à Andros, le jour de la fête de Bacchus, l’eau se changeait en vin.

Instrumens dociles ou acteurs intéressés de ces merveilles, à la fois complices des fraudes pieuses et adorateurs convaincus des miracles qu’ils opéraient, les prêtres gagnaient, à faire parler les dieux, de la considération et du bien-être. Ils recevaient leur part des victimes, quantités d’offrandes, soit en objets précieux pour la décoration du temple ou de la statue d’un dieu, soit en terres dont le produit leur appartenait, sous la surveillance d’un conseil de fabrique et sous la condition d’employer ces revenus à l’entretien du sanctuaire et aux dépenses du culte. Delphes avait des domaines aussi grands qu’une province. L’Athénien Nicias donna, un jour, au temple de Délos un palmier de bronze pour le dieu et une terre de dix mille drachmes pour les prêtres, qui s’obligèrent, en retour, à célébrer chaque année un festin sacré en son honneur et à prier pour lui : on dirait une de nos fondations de messe perpétuelle. Diodore de Sicile parle d’un temple dont les prêtres nourrissaient trois mille bœufs dans leurs prairies. Des esclaves étaient aussi donnés aux dieux ; ils devenaient alors hiérodules ou serviteurs du temple, et cette condition leur assurait un sort préférable même à celui de l’affranchi : peu de travail, grasse nourriture et aucun souci d’avenir.

« L’autel des dieux, dit Euripide, est le refuge commun. » Avant lui, Eschyle avait écrit de son style énergique : « L’autel vaut mieux qu’un rempart ; c’est une armure impénétrable. » Les temples avaient donc, ainsi que nos églises du moyen âge, le droit d’asile. S’ils se fermaient devant l’excommunié, ils s’ouvraient, par une touchante exception, pour le suppliant. Celui qui portait les bandelettes de laine ou les rameaux verts, signes du malheur et de l’invocation adressée à la protection divine, avait toujours le droit de les déposer sur l’autel, près duquel il s’asseyait lui-même, sous l’œil et la main du dieu. Pour lui, les bois sacrés où le prêtre seul avait droit d’entrer devenaient une retraite inviolable. Parfois, la protection de l’asile le suivait hors du temple, et le débiteur, l’esclave réfugiés dans l’enceinte sacrée, y laissaient, en sortant, l’un sa dette, l’autre sa servitude. « Il suspendait ses chaînes, dit Pausanias, aux arbres du bois sacré, et il était affranchi d’esclavage. » Ailleurs le maître était forcé de composer avec lui. Nombre d’amendes étaient prononcées au profit des dieux ; elles allaient, avec la dîme du butin et, chez quelques peuples, avec