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sinistres et d’apparitions menaçantes. Aussi le droit national des Grecs stipulait que la sépulture serait donnée aux guerriers tombés sur un champ de bataille, excepté durant les guerres où les vaincus étaient des sacrilèges que la terre même repoussait. La coutume imposait l’obligation à celui qui trouvait un cadavre sur son chemin de le couvrir de terre, et des lois sévères punissaient la violation des tombeaux. Cette préoccupation de donner au mort sa dernière demeure était si grande, qu’Hector abattu par Achille le supplie de ne pas lui ravir les honneurs funèbres, et qu’Aristophane montre les plus pauvres citoyens épargnant chaque jour une obole pour mettre de côté l’argent nécessaire à l’achat d’une bière. Une des conditions requises dans Athènes pour arriver à l’archontat était d’avoir un tombeau de famille, où l’on accomplissait chaque année les sacrifices offerts aux aïeux. Une preuve terrible de la force qu’avait ce sentiment sera le sort des généraux vainqueurs aux Arginuses ; une autre, celle-là consolante, est la solennité que, six cents ans après la bataille de Platée, on célébrait aux tombeaux de ceux qui avaient payé de leur vie la délivrance de la Grèce : un repas funèbre leur était encore offert comme au lendemain de la victoire.

Si les morts ensevelis avec leurs vêtemens, leurs armes et tout ce qu’ils avaient aimé, étaient, au jour des funérailles et aux anniversaires, honorés par des sacrifices et un repas funèbre, si les libations de lait et de vin, répandues autour de la tombe, avaient pénétré jusqu’à leurs lèvres avides, ils devenaient les protecteurs des parens, des amis qu’ils avaient laissés sur la terre. On les vénérait comme des démons bienfaisans ; on leur adressait des prières et l’on pensait être secouru par eux dans ses tristesses ou dans ses malheurs. « O mon père ! s’écrie Electre sur le tombeau d’Agamemnon, sois avec ceux qui t’aiment ! Je t’appelle, entends-nous ; parais au jour ; contre les ennemis sois avec nous ! Pour libation d’hyménée, je t’apporterai de la maison paternelle l’offrande de tout mon héritage, et cette tombe restera le premier objet de mon culte. » Platon respectait cette vieille croyance aux démons bienfaisans : « D’après nos plus anciennes traditions, disait-il, il est incontestable que les âmes des morts prennent encore quelque part aux affaires humaines. » Mais elles refusaient de répondre, si aux funérailles tout n’avait pas été accompli selon les rites. Périandre, veuf de sa femme Mélisse, la fit consulter au sujet d’un trésor. La morte refusa de répondre : « J’ai froid, dit-elle, je suis nue ; les vêtemens qu’on a mis en terre avec moi n’ayant pas été brûlés, ne me servent à rien. »

Avec le temps et les progrès de la pensée, surtout par l’action des mystères, où des promesses de béatitude seront fuites aux