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La poésie, en effet, qu’un de nos vieux écrivains appelait « la grande imagière, » reflète toute impression en une image et, à un certain âge de civilisation, toute image devient une personne. Les dieux des Grecs sont des forces de la nature ou les manifestations de l’activité physique et morale ; mais ce sont aussi des hommes bons et mauvais, comme nous le sommes ; et c’est parce qu’ils représentent l’humanité qu’ils ont vécu si longtemps. Même dans le christianisme, les personnages les plus vivans sont le Fils qui s’est fait homme et la Vierge qui est femme et mère.

Hérodote regarde les poèmes d’Homère et d’Hésiode comme la source de toutes les croyances religieuses de la Grèce. L’aimable et crédule conteur nous rapporte qu’il fit aux prêtresses de Dodone ces impertinentes questions : « D’où chaque dieu est-il venu ? Ont-ils tous et toujours existé ? Quelle est leur forme ? » Et il ajoute : « De tout cela ou n’a rien su, à vraiment parler, jusqu’à une époque très récente ; car je crois qu’Homère et Hésiode ne sont guère que de quatre cents années plus anciens que moi. Or ce sont eux qui ont fait la théogonie des Grecs, qui ont donné aux dieux leurs noms, leurs honneurs et leur forme. »

Nous en savons un peu plus que l’écrivain d’Halicarnasse ; mais il est vrai que, de la religion grecque, nous ne connaissons bien que sa forme dernière, celle qu’elle prit quand le temps et la réflexion eurent mis l’ordre dans le chaos des anciennes créations, quand les conceptions spontanées des premiers âges eurent été recouvertes et remplacées par les combinaisons poétiques et l’arrangement artificiel des temps postérieurs ; quand l’Iliade enfin fut devenue la Bible hellénique. S’il est difficile de décomposer par l’analyse cette synthèse des siècles et de retrouver les élémens primitifs, d’en déterminer le caractère et l’origine, il ne l’est pas de s’apercevoir que les Olympiens sont des dieux de seconde formation, qu’Homère a perdu le sens du naturalisme antique et que ses personnages divins vivent au travers de fictions ingénieuses ou brillantes, parfois même irrévérencieuses, qui auraient blessé la foi courte et robuste des hommes de l’ancien temps.

La reine des cieux, Junon, « aux brodequins d’or, » est parfois bien maussade, et la punition que Jupiter lui inflige, en la suspendant au milieu de l’éther par une chaîne d’or avec deux enclumes aux pieds, est d’un sultan punissant une des femmes du harem. Elle aussi est bien dure pour Diane, qu’elle soufflette « et qui, fondant en larmes, s’enfuit comme la colombe à la vue de l’épervier. » Pour récompenser Autolycos des nombreux sacrifices qu’il lui offre, Mercure lui enseigne l’art de tromper. Vulcain a de fâcheux accidens ; Vénus, de trop aimables complaisances ; Mars des fureurs brutales, et tous les dieux du poète subissent d’étranges misères.