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savons que telle de ces miniatures, par exemple, la Fenaison, ou les Semailles de l’admirable livre d’heures du duc de Berry, aujourd’hui conservé dans la bibliothèque de Chantilly, n’avait rien à envier au tableau le plus parfait. Pisanello, dont le nom a été prononcé tout à l’heure, a, très certainement aussi, cherché ses inspirations de ce côté-ci des monts, soit dans ses esquisses dessinées pour des médailles, soit dans ses tableaux. Ses paysages si nourris et si mouvementés forment l’opposition la plus complète avec les paysages arides, rocailleux, sans verdure et sans lumière, des peintres italiens du XIVe siècle. Si les paysages du Pérugin sont conçus et disposés par grandes masses, en revanche un autre peintre ombrien, Pinturicchio, se plaît à détailler les siens avec toute la minutie d’un Flamand. Léonard de Vinci lui-même s’est parfois essayé dans ces analyses à outrance : son carton du Péché originel, que Vasari a encore vu, égalait pour la surabondance et le rendu des détails les tableaux flamands les plus poussés ; on y voyait une prairie dont les moindres touffes d’herbe étaient reproduites avec une minutie, un amour inépuisables ; un figuier, un palmier dans lesquels le botaniste le plus méticuleux n’aurait pas trouvé à reprendre la plus légère erreur. Est-il possible, ajoute Vasari, qu’un homme ait eu tant de patience ?

Quels sont les secrets, pour employer une expression chère au XVe siècle, aux yeux duquel il n’y avait pas de supériorité sans un certain mystère, quels sont, dis-je, les secrets qui ont valu aux flamands leur réputation européenne ? Ce sont avant tout les perfectionnemens techniques, perfectionnemens favorisés par l’invention de la peinture à l’huile, mais que l’on pourrait, à la rigueur, concevoir sans elle. Et quel a été le premier résultat de ces perfectionnemens ? De leur permettre de reproduire plus fidèlement la réalité : en d’autres termes, c’est par leur réalisme qu’ils ont imposé leur domination à l’Europe. Examinez les jugemens que les auteurs italiens de la renaissance ont portés sur les tableaux flamands primitifs : ce qui les a invariablement frappés, c’est l’habileté avec laquelle sont rendus les jeux de lumière les plus compliqués, la ressemblance d’un portrait, ces plaies qui paraissent réelles, ce paysage dont on peut compter toutes les touffes d’herbes, et ces touffes d’herbes sur lesquelles on peut compter toutes les gouttes de rosée. De pareils trompe-l’œil, ayons le courage de prononcer le mot, excitèrent infiniment plus d’admiration que l’harmonie du coloris, la force de l’invention, la noblesse de la composition, qualités qui, chez les réalistes de tous temps et de tous pays, ont toujours passé pour secondaires.

L’invention ou plutôt le perfectionnement de la peinture à l’huile