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Wauters, pour l’œuvre d’un élève de Roger ou de Memling. Les idées et les principes voyageaient alors plus vite qu’on ne le croit : au siècle précédent, l’école florentine, par l’impulsion de Giotto, avait fondé des colonies jusqu’au fond de la Bohême, jusqu’en Angleterre ; au XVe siècle, l’Europe septentrionale prend sa revanche avec les peintres flamands.

Si, considérée dans son ensemble, la peinture d’histoire italienne suit sa voie distincte, le portrait, en revanche, procède sur bien des points de prototypes flamands. Ce sont les peintres de l’école de Bruges qui ont mis à la mode ces portraits à mi-corps, où l’original est représenté de face ou de trois quarts, posant tranquillement devant le « pourtraiteur. » Que nous voilà loin des pratiques du moyen âge, où, sauf pour les souverains, l’on n’admettait d’autres effigies que celles qui étaient destinées à orner des tombeaux ! Désormais tout bourgeois enrichi a la prétention de transmettre ses traits à la postérité.

Une de ces rencontres, pour ne pas dire une de ces imitations les plus frappantes, est celle que l’on peut noter entre le portrait d’un sénateur vénitien, par Solario, à la National Gallery de Londres, et le fameux Homme à l’œillet de Jean Van Eyck, au musée de Berlin. L’attitude est presque identique ; il en est de même du mouvement des mains (dans les deux tableaux, le personnage tient un œillet) ; le modelé du visage procède des mêmes principes, avec cette différence qu’il est plus ferme dans l’œuvre flamande, plus souple dans l’œuvre italienne. On peut opposer à ces portraits ceux qui dérivent, si je ne m’abuse, des médailles, et où les personnages sont représentés de profil. Tels sont les portraits de Pisanello, qui a excellé à la fois dans l’art du médailleur, retrouvé par lui, et, dans la peinture, ceux de Piero della Francesca, de Botticelli, de Pollajuolo, de Ghirlandajo et de tant d’autres quattrocentistes.

Le paysage italien ne s’est pas moins ressenti de l’influence septentrionale, quoique, de prime abord, les créateurs du genre paraissent avoir travaillé à l’insu les uns des autres. Dès 1423, le vi-( ? ) et tendre Gentile da Fabriano, cet Ombrien qui osa venir défier les Florentins jusque dans leur propre cité, réussit à rendre avec un égal amour et une égale habileté, dans sa célèbre Adoration des mages, conservée à l’académie de Florence, la fraîcheur des fleurs qui émaillent le gazon du premier plan et le mouvement des terrains du fond, ces belles montagnes boisées sur les flancs desquelles chemine la brillante escorte des trois rois. Le chef-d’œuvre des frères Van Eyck, l’Adoration de l’agneau mystique, était alors à peine commencé, mais les modèles flamands avaient pu pénétrer en Italie par une foule de canaux, notamment par les miniatures, et nous