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conventionnelles transmises par l’école de Giotto, ont surexcité les facultés critiques ; les artistes italiens n’y ont pas seulement gagné de copier exactement les modèles grecs ou romains, leurs yeux se sont du coup rouverts sur la nature vivante, naguère comme couverte d’un voile. Et de fait, chez les primitifs du moins, ceux qui savent le mieux imiter l’antique sont aussi ceux qui savent le plus se rapprocher de la réalité. Nicolas et Jean de Pise l’ont prouvé au XIIIe siècle ; Donatello et Mantegna au XVe. Les auxiliaires de cette révolution furent en Italie l’anatomie et la perspective, c’est-à-dire des sciences positives. Dans les Flandres, au contraire, l’empirisme seul eut part aux progrès du réalisme. Nous voyons ainsi les Italiens affirmer dès le début cet amour de la méthode, qui est le trait distinctif de leur renaissance, et qui montre à la fois une culture d’esprit plus parfaite et des principes supérieurs.

Est-ce à dire que l’école flamande n’ait pas pesé sur le développement du réalisme italien ? Ici, nous assistons à un phénomène rare dans l’histoire : ce sont les représentans de la forme de civilisation supérieure qui vont au-devant de rivaux en possession d’une culture infiniment moins complète et qui sollicitent leurs leçons, tandis que ceux-ci dédaignent les leurs. Une telle tolérance, une telle modestie, suffiraient à elles seules pour proclamer l’ouverture d’esprit des Italiens du XVe siècle, pour montrer avec quelle facilité ils savaient découvrir ou s’assimiler le progrès partout où il se trouvait. Nulle part la peinture flamande primitive n’a été plus appréciée que dans la péninsule. Il n’est témoignage d’admiration que les princes les plus éclairés, Alphonse le Magnanime, Laurent le Magnifique, Frédéric d’Urbin, Lionel d’Este, ne lui aient prodigué. Les savans et les artistes n’ont pas montré moins d’enthousiasme : Cyriaque d’Ancône et Fazio, deux humanistes célèbres, Filarete, le très habile architecte du grand ‘hôpital de Milan, Giovanni Santi, le père de Raphaël, ne tarissent pas en éloges quand ils ont à prononcer le nom de Jean et de Roger de Bruges, c’est-à-dire de Jean Van Eyck et de Roger van der Weyden, ou même du bon roi René, le respectueux disciple de l’école de Bruges. Cette admiration a persisté jusqu’en pleine renaissance, jusque dans les écrits du Napolitain Summonte, jusque dans ceux du Vénitien Michiel, l’auteur de la fameuse Notizia d’opere di disegno, publiée par Morelli, jusque dans ceux de Vasari lui-même. Le premier, Michel-Ange, dans une diatribe souvent citée, mettra à nu toutes les imperfections de la peinture flamande.

Les Italiens ne s’en tinrent pas à des témoignages d’admiration platoniques : outre qu’ils payèrent au poids de l’or les retables de l’école de Bruges, les tapisseries d’Arras ou de Bruxelles, ils