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C’était au moment même où le corps du maréchal Ney, que le fer et le feu de l’ennemi avaient toujours respecté, tombait percé de douze balles françaises.

Le général de ces Anglais, le vrai commandant de Paris à cette époque funèbre, aurait pu d’un mot prévenir ce funèbre holocauste. Il eût mieux valu pour sa gloire faire violence au texte de la capitulation qu’à la conscience de Louis XVIII en lui imposant pour ministre un régicide terroriste.

Après le procès du maréchal Ney vint la loi d’amnistie. Comme à peu près toutes les lois de cette espèce, elle était tellement chargée d’exceptions, qu’elle avait plutôt l’air d’une table de proscriptions que de toute autre chose. Ce n’était rien, néanmoins, auprès des propositions nées du sein de la chambre, et qui durent céder la place. La défense de cette loi fit quelque honneur au ministère ; son succès sur presque tous les points, un seul excepté, affermit le parti modéré et lui rallia les incertains.

Je suivis assidûment les débats de la chambre des députés, et je me préparai à combler la mesure de mes crimes, aux yeux du parti dominant, en combattant la loi comme inconstitutionnelle, arbitraire, et dépourvue de tout principe de droit, de justice et de raison.

La chambre des pairs, en tant que cela dépendit d’elle, m’en épargna le souci et l’odieux. Elle décida, par amour pour la paix, qu’elle ne discuterait point, et vota la loi, sans rapport, sans débat, sans l’ombre même et le simulacre d’un examen.

Je fis imprimer le discours que j’avais préparé, je le fis distribuer malgré les instances du préfet de police, M. Angles, et je l’envoyai à Mme de Staël.

Ce discours ne valait rien et n’aurait produit aucun bon effet. Le fond des idées, sans doute, était honnête et sensé, mais le style était obscur, pédantesque et souvent incorrect. Mme de Staël, en me le renvoyant, me déclara qu’elle n’y avait rien compris ; l’épreuve était soulignée de page en page, et de ligne en ligne. On peut encore la retrouver dans ma bibliothèque.

L’affaire des deux millions de Mme de Staël, que nous suivions, son fils et moi, auprès du gouvernement, étant réglée, et ma présence à Paris, novice que j’étais, et dans la position que je m’étais faite, ne pouvant exercer en rien une influence salutaire, je partis pour l’Italie, où m’appelaient les intérêts les plus chers et les plus pressans.