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l’expression de l’évangile, qui ne fut jamais plus juste. Il grimpa le grand escalier des Tuileries, porté sur les bras de ses généraux, de ses anciens ministres, de tous les serviteurs passés et présens de sa fortune, sur le visage desquels on pouvait néanmoins lire autant d’anxiété que de joie.

À peine fut-il assis, qu’il entendit retentir à ses oreilles les mots de constitution, de liberté, etc. ; il avait lui-même entonné la première note dans ses proclamations. C’était d’ailleurs le mot d’ordre, la lubie du jour, le jargon de la circonstance. Ce fut pour lui une pilule fort amère, qu’il avala d’assez bonne grâce.

Durant le peu de jours que je passai à Paris, et dans le peu de salons bonapartistes que je n’avais jamais cessé de fréquenter, Dieu sait tout ce qu’il me fut donné de poignées de main, prodigué d’assurances et de protestations ; on se serait cru aux premiers jours de l’assemblée constituante.

J’attachais à ces protestations sincères et frivoles toute l’importance qu’elles méritaient ; c’étaient autant de variations sur ce thème, qui peint l’époque même : Comment ne serais-je pas libéral ? J’ai servi dans les mamelouks ; mais c’étaient autant de manifestations qui rendaient impossibles, du moins dans les premiers momens, le rétablissement du despotisme impérial, et préparaient la ruine prochaine du despote. C’était là mon espoir ; je m’en expliquai même ouvertement un soir, dans le salon de Mme Gay, en présence des gens de lettres et des hommes publics qui concouraient, sous la première restauration, à la rédaction du Nain jaune. J’avais vu naître ce journal satirique dans le sein de cette société. J’avais assisté, plus d’une fois, aux soirées où la rédaction s’en préparait. Je n’y étais pas tout à fait étranger, en ce sens que j’avais permis qu’on y insérât des plaisanteries et des anecdotes dont j’étais le narrateur un peu malévole. Je dis nettement à la réunion, dont les personnages principaux étaient les futurs rédacteurs de la Minerve : MM. Jouy, Jay, Étienne, etc., qu’à mon sens, tout espoir de fagoter l’empereur Napoléon en roi constitutionnel était une folie, et que tout espoir de l’empêcher de tenter de nouveau les aventures et de ramener une seconde fois les étrangers à Paris, en était une autre ; qu’il n’y avait qu’une chose à faire, c’était de mettre à profit le coup de vent constitutionnel pour organiser un gouvernement qui débarrassât la France de l’empereur et prévînt une seconde invasion.

La branche aînée de la maison de Bourbon étant, en ce moment, tombée dans un grand décri, j’indiquai la branche cadette comme l’unique espoir des gens de bien et de bon sens. Ce n’était pas que je fusse initié à aucun complot, ce n’était pas non plus que je fusse en rapport intime avec M. le duc d’Orléans. Je lui avais été