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qu’on croit la guérir en prêchant ou en laissant prêcher partout les grèves, la guerre sociale, la haine du capital, en menaçant les sociétés minières dans leur propriété? On ne peut y remédier que par beaucoup de confiance, et la confiance ne peut renaître que le jour où l’on s’occupera sérieusement des affaires sérieuses du pays, où l’on cessera de tout ébranler ou de laisser tout ébranler dans la situation intérieure de la France.

Ce n’est pas sans peine et sans efforts qu’on aura réussi à remettre un certain ordre dans les affaires troublées de l’Orient, à détourner les complications dont l’Europe a pu depuis quelques mois se croire incessamment menacée. On paraît pourtant désormais toucher au terme de toutes les incertitudes et avoir résolu le grand problème à force de négociations, d’admonestations et de conseils prodigués à Belgrade comme à Sofia, à Constantinople comme à Athènes. On a fini, à ce qu’il semble, par refaire à peu près une paix générale avec deux ou trois arrangemens partiels qui ne sont peut-être pas tout ce qu’il y a de plus rationnel, de plus clair et de plus définitif, mais qui ont le mérite de clore une crise trop prolongée, d’inaugurer une nouvelle trêve en Orient. Il est certain que ces arrangemens signés, d’une part entre la Serbie et la Bulgarie, — d’un autre côté, entre la Bulgarie et la Turquie, puissance suzeraine, — ont quelque chose d’assez bizarre, et que ce qu’on peut en dire de mieux, c’est qu’ils sont le dénoûment pacifique d’une mauvaise affaire.

Le traité qui vient d’être signé à Bucharest entre la Serbie et la Bulgarie est, assurément, d’un ordre tout particulier et a son originalité. Il est du genre sommaire, il se compose d’un seul article. Il dit que la paix est rétablie entre les belligérans d’hier, il ne parle pas du rétablissement des relations d’amitié entre les deux états. Il ne touche à rien, il n’éclaircit rien ; il passe systématiquement et avec intention sous silence toutes les questions de frontières et d’intérêts qui auraient pu, à ce qu’il semble, être un objet naturel de discussion dans une négociation diplomatique, qui ont divisé, qui divisent encore les deux pays. La Serbie paraît avoir particulièrement tenu à ce qu’il en fût ainsi, la Bulgarie s’y est prêtée, la puissance suzeraine, la Turquie, ne s’y est point opposée. Il est impossible de sortir d’une guerre avec moins de paroles. A quoi tient cette anomalie? Elle s’explique tout simplement, sans doute, par des circonstances particulières, par l’état moral de la Serbie, peut-être par la situation personnelle du roi Milan. Le gouvernement serbe, qui n’a pas été heureux dans cette triste campagne dont il a pris l’initiative, dont il a la responsabilité, a voulu sûrement éviter d’aggraver la blessure du sentiment national et se réserver de montrer qu’il n’a cédé qu’à la dernière extrémité et le moins qu’il a pu, qu’il n’a fait que se soumettre à une impérieuse nécessité, à la pressante volonté de l’Europe. Le roi Milan, qui se sent