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viole d’amour, puis l’alto qui l’accompagnent; qu’il s’inspire des instrument pour chanter comme eux, l’archet toujours à la corde, pour conduire jusqu’à la fin la période musicale, sans en interrompre le cours, sans en brusquer la chute.

Avec Marcel, il ne saurait être question de période musicale. Un professeur au Conservatoire, qui fut un chanteur de mérite, M. Masset, écrivait récemment dans un ouvrasse très recommandable[1] : « Certains mouvemens de la langue peuvent rendre détestable le plus bel organe du monde. » Je ne crois pas que M. Gresse ait le plus bel organe du monde; mais il a des mouvemens de langue extraordinaires, et le rictus unilatéral de sa bouche, que Victor Hugo eût appelée « bouche d’ombre, » transforme le cantique de Luther en une série de hoquets ou d’aboiemens profonds. Quel cri pourtant jette au milieu du festin le vieux serviteur huguenot! Quelle méprisante apostrophe à ces impies qui boivent et chantent ! Voici le page : il remet à Raoul le message de la reine ; les courtisans s’inclinent déjà devant l’élu du caprice princier; et Marcel, chapeau bas, entonnant un Te Deum triomphal, reporte à son Dieu toute l’allégresse que lui met au cœur la naissante fortune de son jeune maître. M. Gresse ne sent donc pas cette exaltation d’un vieux domestique, cet élan d’une âme pieuse et fidèle !

A l’accent plébéien Meyerbeer sait joindre l’accent aristocratique. Il aime à s’attarder dans les châteaux de Touraine, d’abord chez le comte de Nevers, puis chez la reine de Navarre. Ce second acte, a-t-on dit, est un hors-d’œuvre ; peut-être, mais un hors-d’œuvre délicieux, une esquisse musicale aussi fine que les fresques du Primatice ou les bas-reliefs de Jean Goujon. L’aimable sœur de Charles IX est le type le plus charmant et le moins vieilli des princesses d’opéra : aucune des deux artistes qui se partagent le rôle de Margot ne paraît le comprendre. L’une est évidemment paralysée par l’épouvante; l’autre fait d’une voix lancinante un étalage inutile. Oh ! la violente et lourde princesse, qui écrase les sous au lieu de les effleurer, égratigne au lieu d’égrener les vocalises ! Ces traits, ces trilles devraient couler aussi calmes, aussi doux que la rivière qui baigne les murs de Chenonceaux. Il faut se jouer sans effort avec la phrase maligne : Ah ! si j’étais coquette! en suivre légèrement les détours capricieux et ne pas scander ainsi tout ce babil musical. En réponse aux protestations bruyantes et brûlantes de Raoul, ces simples mots : Mais calmez-vous ! réclament un accent de spirituelle ironie. Tout le rôle exige une voix qui ne soit ni dure, ni rêche, un filet d’eau de roche plutôt qu’un torrent de vinaigre.

Les filles d’honneur de la reine ont la même grâce que leur maîtresse.

  1. L’Art de conduire et de développer la voix, par J.-J. Masset. Paris ; Brandus et Cie.