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tactique habituelle, les Indiens s’exposaient à découvert, et, à plusieurs reprises, des bandes de 20 ou 30 guerriers se lançaient en avant jusqu’à quelques mètres des pièces. Après quatre heures de combat, convaincu qu’il ne réussirait pas à enlever la position, le colonel Strange fit cesser le feu et ramena ses troupes ; la retraite s’effectua sans encombre, et le même soir il regagnait Port-Pitt, où l’attendait un message du général Middleton l’informant de la soumission de Poundmaker et l’avisant qu’il s’embarquait pour Fort-Pitt avec le 90e bataillon de Winnipeg, composé de soldats aguerris, ayant pris part à toute la campagne.

Arrivé à Fort-Pitt, Middleton prit immédiatement ses mesures pour en finir avec Big-Bear. Il donna au capitaine Steele le commandement de 70 scouts triés dans tous les corps de l’armée et supérieurement montés. Steele devait se diriger vers le sud en décrivant une courbe et se porter ainsi en arrière des Indiens, pendant que Middleton et Strange s’avanceraient à leur rencontre. Steele avait ordre d’éviter tout engagement avec les Indiens, de reconnaître leurs positions, d’en donner avis au commandant en chef et de manœuvrer de façon à leur couper la retraite. Le 3 juin, Steele débouchait à l’improviste dans une clairière au moment où les Indiens levaient leur camp. Le choc fut si brusque et la rencontre si inattendue que la lutte s’engagea presque corps à corps. Steele réussit toutefois à se dégager et à rallier ses hommes, non sans avoir fait subir aux Indiens des pertes considérables. Les vivres leur manquaient, leurs munitions s’épuisaient, le désordre se mettait dans leurs rangs. Deux jours après ce combat, Big-Bear était fait prisonnier et ses Indiens se soumettaient sans conditions.

L’insurrection était vaincue, les opérations militaires terminées. Il restait à faire la part des responsabilités de chacun, à examiner dans quelle mesure les réclamations des demi-blancs et des Indiens étaient fondées et à décider du sort des prisonniers. Cette tâche incombait à l’administration civile et à l’administration judiciaire.

Le gouvernement canadien n’envisageait pas sans de sérieuses appréhensions les embarras qu’allait lui causer le procès de Riel. Si l’élément anglais domine dans le Haut-Canada, il n’en est pas de même dans le Bas-Canada. D’après le dernier recensement, celui de 1881, cette province comptait 1,358,469 habitans, dont 1,073,820 se réclamaient de leur origine française, contre 123,749 descendans d’Irlandais, 54,923 d’origine écossaise, 81,515 d’origine anglaise ; le reste appartenant à des nationalités diverses. Sur un chiffre total de 4,324,810 habitans, les Canadiens français figurent pour environ 2,000,000, descendans authentiques des 60 ou 70,000 colons laissés sur les rives du Saint-Laurent ou dans les criques de la péninsule acadienne au moment de l’abandon de la Nouvelle-France.