Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/434

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’eau. Les soldats ripostèrent, on se fusillait dans l’obscurité, mais tout l’avantage était du côté des Indiens, dispersés, s’abritant dans les herbes et derrière les arbres, suivant, au long de la rivière, la lourde marche du radeau, péniblement remorqué par la chaloupe. La supériorité du tir des blancs ne leur était d’aucun secours, obligés de riposter au hasard à des ennemis invisibles. La plupart succombèrent, et le petit nombre des fugitifs qui tombèrent aux mains des Indiens dut envier le sort de ceux qui étaient morts les armes à la main.

Pendant ce temps, le général Middleton marchait à la rencontre de Riel. La chute de Fort-Pitt l’obligeait à modifier son plan de campagne. Battleford était menacé par les Indiens, et il y avait urgence à ne pas laisser tomber entre leurs mains ce point important, qu’on n’eût pu reprendre qu’au prix des plus grands efforts. On était aux débuts du printemps, printemps froid et pluvieux. La débâcle des glaces commençait, le dégel rendait les routes impraticables ; les convois de vivres s’embourbaient ; il fallait tout amener avec soi, fourrages pour les animaux, approvisionnemens pour les hommes, artillerie de campagne. Le général Middleton divisa ses troupes en deux colonnes. L’une, composée de 500 hommes et de deux batteries d’artillerie, sous son commandement, remontait vers le nord en suivant le cours de la rivière. Le vapeur Northcote devait appuyer sa marche et assurer le service des approvisionnemens. L’autre colonne, sous les ordres de lord Malgund, comprenait environ 400 hommes, quarante scouts, deux batteries d’artillerie, et devait suivre parallèlement l’autre rive du Saskatchewan, de manière à prendre Riel en flanc pendant que Middleton l’engagerait de front. Enfin le colonel Otter devait se porter rapidement sur Battleford pour y renforcer le colonel Morris, hors d’état, avec les faibles ressources dont il disposait, de tenir longtemps contre une attaque des Indiens.

Riel attendait l’ennemi de pied ferme. Gabriel Dumont, son ami et son bras droit, commandait, sous sa direction, les demi-blancs ralliés autour d’eux et décidés à combattre jusqu’à la dernière extrémité. D’origine française, ancien trappeur de la Compagnie de la baie d’Hudson, Gabriel Dumont était connu dans tout le territoire du Nord-Ouest, où son habileté de chasseur, sa bravoure et son sang-froid lui avaient concilié l’estime des demi-blancs et le respect des Indiens. Nul ne connaissait mieux que lui ces interminables solitudes, où il s’aventurait à la poursuite des ours, des renards noirs et argentés, des martres et des loutres dont il vendait les fourrures, trafiquant avec les Indiens, vivant comme eux, joignant à leur merveilleux instinct de la vie nomade la supériorité intellectuelle de la race blanche. Nature flegmatique et calme, il admirait en Riel les