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les Indiens, il savait qu’une fois déchaînés, il était bien difficile de maîtriser leurs passions brutales et violentes, que leurs guerres étaient des guerres d’extermination, qu’ils n’épargnaient ni les femmes, ni les enfans, ni les vieillards, mais il savait aussi que les Indiens se lèveraient, qu’il le voulût ou non, le jour où l’insurrection éclaterait, et il comptait sur son influence pour les empêcher de se porter à de trop cruelles extrémités.

Campé sur les bords du Saskatchewan avec ses demi-blancs, Riel occupait le gué de Batoché, barrant ainsi la route aux troupes que le gouvernement colonial dirigeait contre lui, et, s’appuyant sur le village peuplé de demi-blancs, centre de plusieurs missions tant catholique qu’anglicane et presbytérienne. Cette localité, qui servait d’entrepôt à la plupart des exploitations agricoles environnantes, était abondamment pourvue de grains, de bétail, d’approvisionnemens de toute sorte. Riel avait fait fortifier le gué de Batoché et pouvait y tenir contre des forces supérieures. Les scouts indiens, explorant les deux côtés de la rivière, parcouraient la prairie sur leurs ponies, maigres comme leurs maîtres, comme eux durs à la fatigue, infatigables à la course.

Pendant ce temps, Big Bear, bien renseigné par les siens, se dirigeait à marches forcées sur Frog-Lake, situé à 120 milles de Battleford et à 30 milles de Fort-Pitt. À Frog-Lake se trouvait un ancien fort construit par la Compagnie de la baie d’Hudson. Autour se groupait une population d’environ 200 habitans. Surpris avant d’avoir pu se mettre en état de défense, le fort fut emporté d’assaut, ses défenseurs égorgés. Ceux qui échappèrent au massacre s’enfuirent au hasard ; deux femmes blanches, Mmes  Delaney et Gowanlok, furent épargnées et gardées comme otages. Les Indiens avaient goûté du sang ; encouragés par ce premier succès, ils se dirigèrent sur Fort-Pitt. Un détachement de police à cheval y tenait garnison. Soldats éprouvés, endurcis à toutes les fatigues, rompus aux luttes avec les Indiens, ils connaissaient leur répugnance à s’attaquer à des ouvrages fortifiés et défendus. Des fugitifs échappés au massacre de Frog-Lake, des colons effrayés de la marche des Indiens et venant chercher un refuge à Fort-Pitt grossirent rapidement le chiffre de la petite garnison et le portèrent à une centaine d’hommes.

Les Indiens suivaient de près ; au nombre d’un millier environ, ils cernèrent le fort. Ses défenseurs, bien armés, abrités derrière les meurtrières, les tenaient à distance. Les Indiens tentèrent d’enlever le fort d’assaut. À un signal de leur chef, ils se ruèrent sur les palissades, mais ils ne purent tenir sous la pluie de balles qui les accueillit et ils battirent en retraite. Les assiégés respiraient, mais les vivres et les munitions se faisaient rares. Le fort n’était