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jour, il n’était pas difficile de constater les armemens; mais en Prusse, où tout ce qui touche à l’armée est considéré comme secret d’état, et avec une organisation qui permet une entrée en campagne presque immédiate, les arsenaux regorgeant de munitions et le trésor étant de tradition toujours en mesure de pourvoir largement, pour cinq ou six mois au moins, aux dépenses de la guerre, il n’était pas aisé de contrôler les assertions qu’il pouvait convenir à la politique de M. de Bismarck d’émettre. Il semblait que la presse allemande regrettât de ne plus avoir de prétexte pour exciter les ardeurs patriotiques et entretenir les haines nationales. C’étaient de fâcheux symptômes. Il était permis d’en conclure que, si le gouvernement prussien ne recherchait pas les complications et désirait se consacrer sérieusement à son travail intérieur, il n’entrait pas dans sa pensée de désarmer et d’amener une réconciliation sincère entre les deux pays. Il lui convenait, au contraire, de maintenir en éveil le sentiment national en prévision d’une guerre qu’il persistait à considérer comme inévitable[1].

Il était évident que la Prusse, tout en affirmant la paix, ne renonçait pas à ses desseins, et le gouvernement de l’empereur se serait exposé à de cruelles surprises s’il avait pris à la lettre les déclarations rassurantes qui partaient de Berlin. « Le comte de

  1. Dépêche d’Allemagne. — « Le gouvernement prussien est convaincu, et il appuierait ses convictions sur des renseignemens positifs, que la guerre n’est plus qu’une question de temps, qu’elle éclatera le jour où nos préparatifs et ceux de notre alliée éventuelle seront au complet. Mais il sait aussi que ce moment est relativement encore assez éloigné, car la fabrication de nos fusils, quelque activité que nous y mettions en multipliant nos commandes, ne marchera jamais assez vite pour nous permettre d’entrer en campagne, dans des conditions d’égalité, avant plusieurs années. Il sait aussi qu’en Autriche les armemens marchent avec plus de lenteur encore ; il n’admet pas qu’avant trois années son développement militaire atteigne le degré de préparation voulue, si toutefois il n’est pas entravé par des complications intérieures. Il ne faudrait donc pas nous étonner si les idées de l’état-major prussien, si agressives au printemps dernier, conservent un certain ascendant à Berlin. Elles répondent d’ailleurs aux convictions du chancelier. »