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Mais il était difficile de tempérer les passions d’une assemblée aussi jeune, avide de bruit et n’ayant pas le sentiment de la responsabilité politique, ni le respect des convenances internationales. s’arrêter à mi-chemin, ajourner la réalisation d’une œuvre si glorieusement commencée n’était pas un sacrifice ordinaire. M. de Bismarck aimait la lutte, il y excellait, elle répondait à son tempérament; sa popularité y trouvait l’avantage de ne pas s’user dans les débats intérieurs avec une opposition mesquine, frondeuse et dénigrante.

La diplomatie française suivait avec une attention anxieuse les manifestations du ministre prussien, elle pressentait ses desseins, elle savait qu’ils étaient menaçans pour la grandeur et la sécurité de la France. Mais, dans ses correspondances au jour le jour, elle n’avait pas de parti-pris, elle ne s’inspirait d’aucune pensée hostile à l’Allemagne ; si elle signalait les symptômes alarmans, elle relevait avec empressement tout ce qui pouvait réconcilier le gouvernement de l’empereur avec la transformation qui s’opérait à nos portes. L’histoire sera plus clémente pour elle que le comte de Bismarck, qui, dans ses circulaires de 1870, l’a violemment mise en cause. Il lui reprochait alors peu courtoisement son ineptie, sa méconnaissance de l’Allemagne, il l’accusait d’avoir poussé aux résolutions téméraires en entretenant le gouvernement de l’empereur dans de funestes illusions. Il la frappe aujourd’hui pour avoir été trop clairvoyante.

Le gouvernement prussien était en veine de sagesse, il sentait qu’il avait fait fausse route, il cherchait à revenir sur ses pas et à réparer ses erreurs. Il ne se bornait pas à rassurer l’Europe, qu’il n’avait cessé d’alarmer depuis deux ans, il s’efforçait de regagner les sympathies de l’Allemagne qu’il s’était aliénées par la violence de ses procédés. On pouvait craindre qu’au jour des épreuves les populations, au lieu de se rallier autour de la Prusse, ne se retournassent contre elle, en cas de revers, pour échapper à sa domination. Le roi, dans de récens voyages à travers deux de ses nouvelles provinces, la Hesse électorale et le grand-duché de Nassau, avait été frappé de l’impopularité de son gouvernement[1].

  1. Dépêche d’Allemagne, 31 juillet 1867. — « Le roi de Prusse a-t-il été bien inspiré en allant à Wiesbaden? c’est ce que beaucoup de personnes se sont demandé hier après son entrée dans l’ancienne capitale du duché de Nassau. La spontanéité et l’élan du cœur ont fait absolument défaut à cette fête. A côté des couleurs prussiennes flottaient partout, en signe de protestation, les couleurs du pays. Les populations des campagnes s’étaient abstenues, et, dans le cortège organisé par les soins et sous la pression de la régence, ne figuraient que les élèves des écoles et des gymnases et quelques jeunes filles vêtues de blanc. Quantité de Prussiens du Nord, mus par un sentiment patriotique, étaient accourus de tous côtés pour suppléer, par leurs démonstrations, aux acclamations de la population indigène. Sans le concours d’élémens étrangers, qui tenaient à assister le roi dans une épreuve un peu risquée, on en serait sans doute à regretter une démarche qui, généralement, a paru prématurée. Le roi avant de se rendre à Wiesbaden est allé inspecter la garnison de Mayence. Cette démarche faite en l’absence du grand-duc de Hesse, dans une ville qui ne dépend pas de la confédération du Nord, et peut-être sans avis préalable donné au souverain territorial, est considérée comme une prise de possession morale contraire à l’esprit du traité de Prague. »