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Il y chante la vanité et le danger de la richesse, attestant la toison d’or qui fut cause de tant de maux, la pomme d’or qui troubla le banquet des dieux, la pluie d’or qui corrompit Danaé, le collier d’or au prix duquel Amphiaraüs fut vendu par sa femme, et ainsi de suite ; car Colomban connaît sa mythologie aussi bien que l’Écriture. Ce disciple de Sapho a la grandeur d’un saint du désert, sûr de sa vertu, confiant en Dieu, méprisant toutes les grandeurs de la terre. Écrivant aux évêques de l’église franque pour se défendre de l’accusation d’erreur et d’hérésie qu’ils lui avaient adressée, il les exhorte, comme s’il avait qualité pour cela, à obéir aux canons et à faire les devoirs de leur office. Il reproche au roi de Bourgogne Thierri ses débauches, et le presse de renvoyer ses concubines pour prendre une femme légitime. Il n’est pas écouté ; même un jour, Brunehaut, grand’mère de Thierri, lui demande sa bénédiction pour les fils que celui-ci avait eus de ses maîtresses : « Sache bien, répond-il, que ceux-ci ne porteront jamais les ornemens royaux, car ils sortent de lupanars. » Colomban est aussi hardi envers le pape qu’envers les rois. Il ne méconnaît pas la dignité de l’église de Rome, car il écrit au pape : « Tout le monde sait que notre Sauveur a donné à saint Pierre les clés du royaume céleste ; » mais il ajoute : « De là vient l’orgueil qui vous fait réclamer plus d’autorité que les autres.., mais sachez que votre puissance sera moindre auprès du Seigneur si vous pensez ainsi dans vos cœurs… » Ce moine qui donne des leçons à tous, qui ne demande les conseils et ne prend les ordres de personne, semble un prophète au milieu d’Israël captif dans une Babylone d’iniquité.

Ces missionnaires irlandais sont des découvreurs : tantôt c’est une ruine qu’ils débarrassent des ronces et qu’ils restaurent, tantôt ils jettent en plein désert les fondations d’églises et d’abbayes autour desquelles s’élèveront des villes. Saint Gall, le disciple de Colomban, cherchait dans la solitude un lieu où il pût finir ses jours terrestres. Un diacre l’accompagnait, peu rassuré, parlant d’ours, de loups et de sangliers et toujours prêt à s’arrêter pour prendre du repos : « Marchons ! » disait le missionnaire, mais son pied s’embarrasse dans des broussailles et il tombe : — « c’est ici que je me reposerai pendant des siècles, » s’écrie-t-il ; et, faisant une croix avec une branche de coudrier, il la plante en terre et y suspend des reliques qu’il portait avec lui. La petite branche devint un grand arbre, qui étendit ses rameaux au loin, car à l’endroit où le saint était tombé s’éleva le monastère de Saint-Gall, qui devint une seigneurie puissante, une grande école et un foyer de civilisation. L’histoire et la légende de ces missions transportent l’esprit au commencement des choses ; on s’y croit au lendemain de la création du monde. Hommes et animaux vivent