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conscience de sa haute dignité avec l’habitude du langage ecclésiastique : « Ma nourriture est de faire la volonté de Dieu et non pas de me délecter en ces délices. » Il savait bien pourtant qu’il y avait péril à braver Chilpéric et Frédégonde ; mais, entre le martyre et la désobéissance aux lois de Dieu et de l’église, il aurait avec joie pris le martyre. Et cet homme d’un cœur si tendre, d’une conscience si délicate, raconte de grands crimes sans s’émouvoir et souvent même en ayant l’air de les approuver. Pour choisir un exemple bien connu, Clovis a employé tous les modes de la scélératesse lorsqu’il a voulu acquérir le royaume de Sigebert : Sigebert, roi de Cologne, a été assassiné par son propre fils Cloderic, à l’instigation de Clovis ; Cloderic a été ensuite assassiné par l’ordre du même Clovis : celui-ci se rend alors à Cologne et convoque les Francs : « Je ne suis pour rien dans ces choses, leur dit-il ; je ne puis, en effet, répandre le sang de mes parens, puisque cela est défendu ; mais ce qui est fait est fait, et j’ai un conseil à vous donner… Réfugiez-vous vers moi, afin que vous soyez sous ma protection. » Les Francs l’applaudissent par des clameurs et le fracas des boucliers ; ils l’élèvent sur le pavois et le mettent en possession du trésor et du royaume ; « car Dieu, dit Grégoire en manière de moralité, faisait tomber chaque jour ses ennemis sous sa main, parce que ce roi marchait devant le Seigneur avec un cœur droit et qu’il faisait ce qui était agréable à ses yeux. » Et l’évêque énumère d’autres meurtres commis par Clovis avec autant de calme que s’il récitait une litanie. Comment donc ce saint homme compromet-il sa vertu et la grandeur même de Dieu dans ce panégyrique d’un méchant barbare, et qu’entend-il par un cœur droit et où trouvera-t-il des cœurs pervers, s’il reconnaît en Clovis la droiture du cœur ? Rien de plus simple que son criterium. Tous les cœurs sont droits qui confessent, tous les cœurs sont pervers qui nient la Trinité « reconnue par Moïse dans le buisson ardent, suivie par le peuple dans la nuée, contemplée avec terreur par Israël sur la montagne, prophétisée par David dans le psaume. » Grégoire ne se lasse pas de répéter qu’il suffit d’être un hérétique pour être puni en ce monde et dans l’autre, et il donne ses preuves : l’arien Alaric a perdu tout à la fois son royaume et la vie éternelle, pendant que Clovis, avec l’aide de la Trinité, a vaincu les hérétiques et porté les limites de son royaume aux confins de la Gaule. Grégoire ne dit point que Clovis soit au paradis dans la gloire éternelle, mais certainement le soupçon ne lui est pas même venu que ce confesseur de la Trinité pût être relégué dans les enfers avec la foule de ceux qui l’ont blasphémée.

Après l’orthodoxie, la vertu principale aux yeux de Grégoire est le respect de l’église orthodoxe, de ses ministres, de ses droits, de