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des anciens de l’église, bien entendu. Le temps du manuel est venu en effet, car la parole vivante ne se fait plus entendre. La période de l’initiative intellectuelle est close ; il ne reste plus qu’à constater les résultats acquis. C’est pourquoi Jean le Scolastique dispose en ordre méthodique les canons des conciles, afin que toute question, quelle qu’elle soit, trouve sa réponse. C’est ainsi qu’après qu’un livre est achevé, on en écrit la table des matières.


III.

La grande originalité de la religion nouvelle, c’est qu’elle était une morale en même temps qu’une théologie. Les devoirs d’un chrétien découlaient de l’idée de l’union de l’homme avec Dieu et avec l’homme, par la grâce du Fils de Dieu, qui était aussi le Fils de l’homme. Une vertu intime, la foi, et une vertu active, la charité, satisfaisaient à tous ces devoirs. Rien de plus simple, de plus pur et de plus grand tout à la fois, mais qu’allaient devenir cette simplicité, cette pureté, cette grandeur au contact du monde ? Là même où le Christ avait vécu, combien d’hommes étaient capables de faire de leur âme un temple du Christ ? Israël croyait à un être suprême, mais qui s’est choisi un peuple particulier, à un Dieu idéal, mais qu’il faut honorer par des sacrifices, et Jésus avait prêché pour affranchir la religion du culte et libérer Dieu du sacerdoce. Quant aux gentils, ils ne communiquaient avec leurs dieux que par des pratiques extérieures. La religion païenne n’avait point de morale ; le seul sentiment qu’elle pût inspirer à la foule était la crainte, et les immortels, pourvu qu’ils lussent apaisés ou gagnés par certaines manifestations grossières, se tenaient pour contens. D’eux à leurs fidèles il y avait échange de services, rien de plus. Aussi le païen avait-il besoin que ses dieux fussent tout près de lui et tout pour lui. L’antiquité croyait que les divinités avaient organisé leur culte dans chaque pays et que tous ces cultes étaient légitimes. Rome faisait entrer les dieux dans le Panthéon en même temps qu’elle admettait les peuples dans la cité, mais elle ne pouvait comprendre qu’un Dieu ne fût pas de tel peuple et de tel pays ; elle donna sans hésiter l’hospitalité au Dieu des Juifs : elle la refusa au Dieu des chrétiens, qui, au mépris de l’usage, n’avait point fait élection de domicile.

Épurer partout, même en Israël, où elle était le plus pure, la notion du divin, confondre la morale avec la religion, orienter vers le ciel des âmes qui n’avaient qu’un horizon terrestre, détruire les sacerdoces particuliers et les cultes locaux, placer tous et chacun en présence de Dieu, telle était la mission du christianisme. Il ne s’était point vu, il ne se verra plus jamais un pareil effort pour soulever