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tout définir, et voici une déclaration grave de saint Hilaire. « Autrefois suffisait aux croyans la parole du Seigneur qui a dit : Allez et enseignez les nations au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ! Mais voici que, par la faute des hérétiques et des blasphémateurs, nous sommes contraints de faire ce qui n’est pas permis, de gravir des sommets ardus, d’exprimer l’inexprimable… Alors qu’il faudrait accomplir par la seule foi ce qui a été commandé, c’est-à-dire adorer le Père, vénérer le Fils et être rempli de l’Esprit saint, nous sommes forcés de hausser l’humilité de notre langage jusqu’à lui faire dire l’inénarrable ; une faute nous jette dans une autre et ce qui devait demeurer enfermé dans la religion des âmes est exposé aux périls du langage humain. »

Du moins, les controverses demeurent grandes aux IVe et Ve siècles. On discute sur la nature du Verbe pour ou contre Arius, sur la destinée des âmes pour ou contre Origène, sur le libre arbitre pour ou contre Pelage. Les adversaires sont de haute taille, car l’orthodoxie est défendue par saint Augustin et par saint Jérôme, et les écoles théologiques d’Alexandrie et de Syrie procèdent toujours selon les règles d’une méthode scientifique. Mais le temps marche et la culture ancienne dépérit. L’église oublie ce qu’elle lui doit, la dédaigne comme superflue et la suspecte comme complice du paganisme, dont elle est le dernier refuge. Elle rejette non-seulement la philosophie, mais toute la littérature. « Il paraît que tu enseignes la grammaire, écrit le pape Grégoire le Grand à un évêque. Je ne puis répéter cela sans rougir, et je suis triste et je gémis, car les louanges de Christ ne peuvent se rencontrer dans une même bouche avec les louanges de Jupiter. » L’horizon intellectuel, si vaste autrefois, se rapproche et se ferme, et l’église prétend se suffire à elle-même. Si encore l’activité de l’esprit avait duré en elle ! Mais sur quoi se serait-elle exercée ? « Ne cherchons plus, avait dit Tertullien, » et l’on ne cherche plus en effet ! toute la sagesse est trouvée ; elle est dans certains livres dont un décret pontifical dresse le catalogue. L’erreur est dans d’autres livres : le même décret les met à l’index. Les écoles théologiques d’Orient tombent en décadence, et l’Occident n’en a pas une seule qui mérite d’être citée. Tandis que les écoles de lettres profanes trouvent encore des élèves pour leur enseignement vieilli, il n’y a point de « maîtres publics pour les divines écritures. » c’est Cassiodore qui le dit en se lamentant. Aussi, pour suppléer au défaut des maîtres, écrit-il le de Institutione divinarum litterarum, c’est-à-dire un manuel où les prêtres puissent apprendre commodément tout ce qu’il faut savoir. Cassiodore le leur déclare en propres termes et il leur représente « qu’au lieu de chercher présomptueusement des nouveautés, il vaut mieux étancher sa soif à la source des anciens, »