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réduisit le Christ à la qualité d’un esprit de lumière et d’un combattant illustre dans le conflit entre le bon et le mauvais principe. Ainsi le génie hellénique, toujours en travail, menaçait de perdre le christianisme dans des conceptions bizarres ; la sagesse des anciens et leur méthode, leur idéalisme et leur dialectique, qui avaient servi à bâtir le dogme, s’employaient à le démolir. C’est alors que l’esprit latin s’insurgea.

L’église d’Occident était demeurée pendant longtemps l’élève des églises orientales : l’Orient parlait, l’Occident écoutait. La langue de l’écriture et des apôtres, des théologiens orthodoxes ou hérétiques, était la langue grecque ; mais, au IIIe siècle Tertullien introduisit la langue latine dans les controverses et révéla un esprit tout différent de l’esprit oriental, plus étroit, plus prosaïque, mais plus ferme. Tertullien a certaines maximes brèves, dictées par un sens commun assez grossier, et par cela même très intelligibles. « On ne peut pourtant pas chercher indéfiniment, dit-il : infinita inquisitio esse non potest. » d’ailleurs à quoi bon chercher ? « Il n’y a pas besoin de curiosité, curiositate opus non est, après le Christ et l’évangile. » Il y a une règle à laquelle il se faut tenir : « La plénitude de la science est d’ignorer ce qui est contraire à cette règle. » C’est merveille de voir comment le christianisme en se répandant sur le monde s’adaptait aux différens milieux. Au temps de l’antiquité païenne, les Grecs avaient pensé tandis que les Romains agissaient ; la vie intellectuelle romaine, très tardive, avait été le reflet de la vie intellectuelle hellénique, et Rome n’avait manifesté son originalité que dans le domaine du droit. Au temps de l’antiquité chrétienne, l’esprit hellénique cherche sans cesse et toujours disserte ; le chrétien romain arrête la doctrine et tout de suite il est prêt à légiférer sur la discipline et sur la foi.

L’autorité trouva bientôt un organe régulier dans la hiérarchie qui se constituait et dans la puissance impériale. À peine l’empereur fut-il entré dans l’église que la liberté en sortit. L’hérésie devint une affaire d’état. Auparavant, elle pouvait ne troubler qu’une ou deux provinces, et les évêques des pays où elle se produisait se contentaient de rejeter en concile les opinions hétérodoxes ; désormais elle occupa la chrétienté entière. Arius est jugé par l’église universelle, l’empereur présent et présidant, et les conciles font de leurs décisions des articles de ioi, que l’empereur transforme en articles de loi. Comme la victoire de l’église sur le paganisme la dispense de toute tolérance envers les dissidens, l’hérétique devient le grand ennemi. Déjà se disaient de dangereuses paroles : « Mieux vaut errer dans les mœurs que dans la doctrine ; mieux vaut un païen qu’un hérétique. » Pour ne laisser aucune prise à la fantaisie, les docteurs se mettent en devoir de tout préciser, de