Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son propre consentement. Tous ces grands bourgeois, les Rœderer, les Thibaudeau, les Merlin, les Berlier, les Portalis, les Boulay, les Real, les Lebrun, les Siméon, les Ramond, les Chaptal, semblaient craindre qu’on ne laissât pas assez libre l’épée qui défendait et relevait la France.

Comme le besoin le plus urgent était de reconstituer la science du gouvernement et son autorité, le premier consul sentit que la bourgeoisie, avec sa pratique supérieure des hommes, s’appliquerait d’autant plus complètement aux choses de second ordre qu’elle s’était mesurée aux plus grandes affaires. Il sut créer pour ces vigoureux esprits le conseil d’état, des places dans les assemblées et dans les postes les plus élevés des fonctions publiques. Ils étaient d’accord pour ne plus vouloir de persécutions d’aucun genre et pour maintenir les résultats principaux de la révolution. Les patriotes de 89, ramenés en arrière par la terreur, croyaient avoir trouvé dans la constitution de l’an VIII un abri et une fin. Plus avides pour la plupart de libertés civiles que de libertés politiques, ils se faisaient des illusions volontaires sur les nouveaux pouvoirs qui n’étaient qu’une image éloignée de la représentation nationale. Certes, ce qui leur suffisait était loin de ce qu’ils avaient rêvé d’abord : mais le spectacle de la tyrannie démagogique avait borné leurs désirs à l’abolition du régime féodal, à l’ordre, à l’égalité, à la justice régulière et à la sûreté de la vie ! Ils tenaient pour une grande chose le triomphe éclatant des armées françaises sur toute l’Europe; et, s’il y eut des bassesses, elles ne se rencontrèrent que chez les anciens jacobins.

Se félicitant pompeusement de la part qu’il avait prise au 18 brumaire, Garat déclarait devant le conseil des anciens que les garanties les plus solides des libertés publiques étaient dans la gloire de l’homme de génie que la France appelait au gouvernement. La limite du pouvoir personnel lui paraissait d’autant plus sûre qu’elle ne serait pas marquée dans une charte, mais «dans le cœur de Bonaparte. » Nous ne parlerons pas de Cambacérès, de Fouché, et de tant d’autres. Il leur restait de prendre des titres de noblesse. Le mot de Ramond, un des meilleurs préfets du premier empire, était bien vrai : «L’heure des révolutions sonne quand les changemens survenus dans les cœurs des peuples et la direction des esprits sont arrivés à tel point qu’il y a contradiction manifeste entre le but et les moyens de la société, entre les institutions et les habitudes, entre les intérêts de chacun et les intérêts de tous. »

Des idées appartenant à la bourgeoisie, il en était une qui fut immédiatement réalisée. Nous voulons parler de l’unité absolue d’administration. Cette pensée de fortifier le pouvoir central, de le rendre