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de Gabaon ne nous est connu que par un vers, qui donna lieu à l’interprétation la plus singulière. Le beau cantique de Débora, au contraire, nous a été conservé dans son intégrité. Enfin l’élégie sur la mort de Jonathas et le début de l’élégie sur la mort d’Abner, sont cités avec un nom d’auteur ; ils sont donnés comme de David. Sur ces sept ou huit exemples, trois sont rapportés par citation expresse à deux livres, l’un intitulé : Sépher milhamot Iahvé, « le livre des guerres de Iahvé, » l’autre Sépher hay-yaschar, livre du Iaschar ou Iaschir, titre dont le sens est tout à fait douteux. Ces deux livres étaient composés pour la plus grande partie de chants populaires. C’étaient ou deux livres se complétant l’un l’autre, ou un même ouvrage sous deux titres différens. Pour la commodité de l’exposition nous adopterons cette seconde hypothèse, dont l’inexactitude, si inexactitude il y a, serait de peu de conséquence.

Les citations du Iaschar et du Sépher milhamot Iahvé se trouvant dans des parties très anciennes de l’Hexateuque[1], qui peuvent avoir été écrites vers le VIIIe ou le IXe siècle, il faut en conclure que le Sépher milhamot Iahvé, ou Sépher hay-yaschar, fut écrit au Xe siècle au moins, à la fin même de la période dont il s’agissait de recueillir les chants et les souvenirs.

C’est le propre, en effet, des grands âges héroïques que d’ordinaire l’on commence à se passionner pour eux quand ils sont déjà bien finis. La génération héroïque meurt toujours sans écrire. Mais elle a raconté ses prouesses à une génération souvent très pacifique, qui attache d’autant plus de prix à ces récits épiques qu’elle n’a pour la vertu guerrière qu’une admiration toute littéraire. Les rudes soudards de David devaient avoir de longues histoires à conter. La vie d’aventures de David, traversée comme par un fil d’argent par l’amitié de Jonathas, offrait aux conteurs des épisodes charmans. Une foule de chants et d’anecdotes du temps des Juges, de Saül et de la jeunesse de David allaient périr. C’est alors, selon nous, qu’un ou plusieurs scribes du Nord, de Silo, par exemple, recueillirent cette riche moisson poétique, qui s’étendait sur trois ou quatre siècles, depuis les premières approches de l’Arnon, au sortir du désert, jusqu’à l’avènement de David. David était le dernier de ces héros aventureux qui avaient déployé un courage tout profane au nom de Iahvé. Depuis qu’il fut devenu roi, il cessa de payer de sa personne et de s’exposer dans les batailles. Nous pensons donc que la bataille de Gelboé et l’élégie sur la mort de Jonathas occupaient les dernières pages du livre, dont les membres épars se trouveraient ainsi, en petite partie dans les livres des

  1. Nombres, XXI, 14 et suiv. ; Josué, X, 13.