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paraît avoir appartenu au recueil hiérosolymite. C’est un morceau brillant, d’une rhétorique un peu banale, composé sur le modèle des anciens cantiques, où l’on sent la composition artificielle et le pastiche.

Pas plus que la rédaction dite jéhoviste, la rédaction de Jérusalem n’avait de Thora développée. Mais, comme la rédaction du Nord contenait le livre de l’Alliance, la rédaction de Jérusalem avait le Décalogue. Le Décalogue est la loi de Moïse telle qu’on la résumait à Jérusalem[1]. Le progrès religieux qui caractérise le livre de l’Alliance est encore plus sensible dans cette petite Thora en une dizaine d’articles. Ce que Iahvé commande, c’est exclusivement la morale. La condition du pacte de Iahvé avec ses serviteurs, c’est de faire le bien. Le pas est franchi. Les vieilles religions, où le dieu octroie ses biens à celui qui lui offre les plus beaux sacrifices ou qui pratique le mieux ses rites, sont entièrement dépassées.

L’élohiste traitait ainsi les mêmes sujets que le jéhoviste ; mais il les traitait selon son esprit, utilisant les précieuses listes généalogiques qu’il avait entre les mains, suivant son goût pour une précision plus apparente que réelle, dans les dates et les chiffres. La conquête de Josué, racontée d’une façon toute convenue, venait démontrer la réalité des promesses faites aux pères et prouver que Iahvé avait observé son pacte, si bien que le peuple n’avait qu’à garder le sien. L’auteur écrit surtout en vue d’inculquer des préceptes, des règles, des usages religieux. Le livre était loin encore d’être un code; c’était une histoire destinée à montrer la raison historique de certaines lois et à les fonder sur la plus haute autorité. La similitude de plan avec l’œuvre jéhoviste venait de la similitude des traditions orales et d’un type d’enseignement qui existait depuis longtemps dans les deux parties d’Israël. Tous les Évangiles, de même, se ressemblaient pour le plan, car ils venaient tous d’un même enseignement oral. Mais cette identité de plan n’empêchait pas une forte diversité dans les deux ouvrages. L’esprit poétique et libre, l’imagination qui caractérisent le récit d’Israël font complètement défaut chez l’élohiste. Rien n’y est donné au plaisir; l’auteur veut servir une cause religieuse ; il cherche déjà à prouver ; il aime les statistiques ; il vise à une chronologie. A la netteté du géographe il joint le formalisme du juriste. Sa langue, sèche, monotone, est renfermée dans un très petit nombre de mots. Tout indique un état intellectuel plus réfléchi, plus positif, plus dégagé des rêves mythologiques que chez le jéhoviste, une théologie plus simple, plus sévère, presque déiste. Le rôle des anges en général, de l’ange de Iahvé en particulier, est réduit à presque rien. L’auteur parait avoir été

  1. Ceci sera développé dans un autre article.