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L’histoire d’Abraham, d’Isaac, surtout celle de Jacob et de Joseph, histoires essentiellement Israélites, toutes formées dans le Nord, furent calquées par le jéhoviste sur le livre des Légendes. L’histoire d’Abraham prend entre ses mains un caractère presque exclusivement religieux. Abraham devient le pivot du iahvéisme ; il a été le fondateur de la religion de Iahvé ; il a bâti partout des autels à Iahvé, dont plusieurs se voient encore. Sa vocation et les promesses qui lui furent faites figurent au premier plan de la narration, comme l’objet capital que l’auteur a en vue. Sans avoir les préoccupations ethnographiques que nous trouverons bientôt chez le rédacteur hiérosolymite, notre auteur connaît les mythes qui rattachent Israël aux Moabites, aux Ammonites, aux Édomites, aux Arabes. Il se complaît dans les anecdotes sur Lot, sur Sodome et les villes du bassin Asphaltite. La double supplantation de Jacob et d’Ésaü est racontée avec un très fin sentiment historique. Les bénédictions des patriarches mourans sont empruntées au trésor de la poésie populaire des différentes tribus.

C’est surtout par la manière dont il esquissa la légende de Moïse et les premiers contours de la législation théocratique, que le rédacteur du Nord se fit dans le développement religieux d’Israël une place à part. Il fixa l’histoire sainte comme l’entendaient les prophètes. Il fournit le cadre de tous les développemens postérieurs de la Thora. Les récits de la captivité en Égypte, de l’exode et de Moïse existaient avant lui, au moins pour le fond. L’institution de la Pâque (vieille fête du printemps) était déjà conçue comme se rapportant historiquement à la sortie d’Égypte. Mais ce qui marqua une innovation capitale, ce fut l’insertion dans le livre de l’Histoire sainte d’un petit code[1] renfermant toute l’institution morale d’un peuple, comme le iahvéisme du Nord l’entendait. Il ne semble pas que le livre des Légendes renfermât rien de semblable. La promulgation de cette loi divine était censée se faire au milieu des tonnerres du Sinaï.

Nous réservons la discussion de cet ancien code, noyau primitif de la Thora, pour l’étude que nous ferons une autre fois sur les textes législatifs. A partir du moment où le peuple approche de la Palestine et livre ses premières batailles aux peuples déjà établis dans le pays, l’auteur trouve des documens cette fois bien réellement historiques dans le livre des Guerres de Iahvé et dans le Iaschar. Le rôle héroïque de Caleb paraît venir de cette source. De là surtout viennent ces inappréciables chants sur la source de Beër, sur la prise d’Hésébon, cet épisode si original de Balaam, peut-être les bénédictions de Moïse, parallèles à celles de Jacob et

  1. Livre de l’alliance, depuis Exode, XX, 24, jusqu’au verset 19 du ch. XXIII.