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tempérance; mais c’est justement le point délicat. Combien de temps pense-t-on que puisse durer ce singulier phénomène, ce contraste saisissant d’un pays qui demeure tranquille, comme on le dit, qui ne demande qu’à être tranquille, et d’une politique qui ne vit que d’expériences agitatrices ou de complaisances pour les fantaisies d’un radicalisme impatient de toutes les subversions ?

C’est la question d’hier, c’est la question d’aujourd’hui et de demain. On ira ainsi tant qu’on pourra, c’est possible. On se prévaudra jusqu’au bout d’une tranquillité qui se soutient pour ainsi dire d’elle-même, qui n’est assurément pas l’œuvre des politiques qui règnent et qui gouvernent. Peut-on se faire l’illusion que cette tranquillité spontanée et sans protection se prolonge indéfiniment pour le bon plaisir des optimistes du jour? Se figure-t-on que tout se passe ainsi sans conséquence, qu’il soit permis de signaler des classes entières, des chefs d’industries, des ingénieurs, des financiers aux fureurs populaires, de réhabiliter le meurtre, d’exciter tous les jours à de nouveaux attentats, sans que la paix sociale en soit ébranlée? Imagine-t-on qu’il soit possible de passer son temps à désorganiser les ressorts de l’état, à énerver la justice, à désarmer la vigilance, à émousser la répression sous le regard complaisant des pouvoirs régnans, et que la sécurité publique n’en soit pas sensiblement diminuée? Pense-t-on qu’une ville comme Paris puisse être réduite à l’humiliant régime de ces administrateurs de hasard qui lui font un rôle ridicule devant le monde, qui refusent une petite somme pour le centenaire de François Arago sous prétexte que ce savant homme n’était pas assez bon républicain, — et que la paix, l’honneur de la cité soient bien en sûreté? Croit-on que le gouvernement lui-même puisse se croire obligé d’écouter toutes les délations, d’obéir aux plus vulgaires suspicions eu frappant des prêtres, en déplaçant des régimens, et qu’il n’en résulte pas du doute, de la défiance dans l’opinion ? Suppose-t-on enfin que toutes ces excitations, ces anomalies, ces fantaisies de désorganisation ne doivent pas à la longue avoir leur effet dans toutes les conditions de la vie publique ? Mais s’il y a au contraire une chose sensible, c’est la difficulté croissante de vivre avec tout cela, c’est que tout ce qui fait la sûreté, la force, la garantie d’une société décroît et dépérit. Le pays, qui, lui, aime la vraie tranquillité parce qu’il en vit, qui craint tout ce qui peut affaiblir cette tranquillité, sent bien ce qu’il y a de peu rassurant dans cette politique qui parle toujours de l’ordre et qui n’en maintient pas, qui n’en respecte pas les plus simples conditions. C’est parce qu’il le sent qu’il l’a dit d’un mouvement spontané, instinctif aux dernières élections, et ce serait interpréter d’une étrange manière ses sentimens intimes de se figurer qu’il a déjà change parce qu’il y a quelques jours, dans les départemens où il y a eu des invalidations,