Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Paris » et autres sujets circonvoisins. Ce général chinois est devenu vraiment trop Parisien; il nous parle trop de nous-mêmes, pas assez de la Chine, et, décidément, il se déguise trop. A moins peut-être que nous ne soyons nous-mêmes et au fond plus Chinois que nous ne le croyons. Si quelques années de Paris ont suffi pour faire de M. Tcheng-ki-tong un Parisien tellement achevé, c’est peut-être que tous les Chinois ne sont pas à la Chine, et qu’il y a parmi nous des mandarins sans le savoir, mandarins administratifs et mandarins de lettres, et aussi moins de Parisiens qu’on ne le pense à Paris. Sérieusement, dans les ressemblances et dans les affinités du théâtre chinois avec le nôtre, comme aussi dans celles de la littérature chinoise avec la littérature européenne en général, pour le fond sinon pour la forme, il ne se peut pas que l’on ne voie que des rapports de surface, et il doit y avoir quelque chose de plus.

Tutto il mundo e fatto came la nostra famiglia : ce serait une belle occasion de répéter le mot d’Arlequin, et de s’en prendre à la psychologie des nationalités. Décidément, les différences ne sont qu’à l’extérieur, et. dans toutes les races d’hommes comme sous toutes les latitudes, c’est toujours un peu et partout la même chose. Quelques particularités locales n’empêchent pas qu’à la Chine et ailleurs, ce soient les mêmes « biens » que les hommes poursuivent; les mêmes besoins, les mêmes désirs, les mêmes passions qui les meuvent à cette poursuite ; et au bout de la course le même néant, ou du moins la même mort qui les attende. Si les soubrettes du théâtre chinois ne valent pas peut-être les nôtres, les Marinette et les Nérine, les Lisette et les Dorine de notre vieux répertoire, il faut avouer cependant qu’elles leur ressemblent fort; et en Chine comme chez nous, le rêve des bacheliers, — et de leur famille, — est le même: un bon emploi, bien rente, et un beau mariage. Chose plus étonnante ! les passions s’y trahissent de la même manière, par les mêmes symptômes, elles y tiennent le même langage et y causent les mêmes désordres. En Chine, qui le croirait? L’ivrognerie consiste à boire plus que de raison, et l’avarice à tenir trop serrés les cordons de sa bourse. Comme le seigneur Harpagon, le seigneur Kou-jin prête sur gages, et quand Li-taï-pé célèbre les plaisirs de l’ivresse, ni Désaugiers ni Panard ne sont mieux inspirés par le vin. J’ai déjà dit plus haut que les héros de roman, très différens en cela de Sindbad le marin ou même d’Ali-Baba, n’accomplissaient guère d’exploits qui ne fussent à la taille de nos bacheliers. Il est vrai qu’une fois bacheliers, on les voit tous aspirer à devenir licenciés; mais allez au-delà des mots, ce n’est en réalité qu’une ressemblance de plus : à la Chine, tous les sous-chefs aspirent à devenir chef, tous les sous-préfet, à devenir préfet, et tous les secrétaires d’état à devenir ministre.