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à notre avis, que le témoignage vivant d’un art antérieur, plus naïf, moins maître de ses procédés, et qui sentait le besoin d’attirer l’attention sur la beauté des choses qu’il disait.

« L’intention morale » des œuvres du théâtre chinois est une autre différence, où je comprends très bien que le général Tcheng ki-tong, pour se donner sur nous un facile avantage, croie devoir insister, mais non pas nos sinologues. C’est prendre un peu trop à la lettre les affirmations des critiques chinois. s’il est écrit dans le Code pénal que l’objet des représentations théâtrales est d’offrir sur la scène des «peintures fictives ou réelles d’hommes justes et bons, de femmes chastes, d’enfans affectueux et obéissans; » il y est également écrit que l’on ne représentera sur les planches « ni les empereurs, ni les impératrices, ni les princes, les ministres et les généraux fameux des premiers âges; » et, puisque les drames historiques violent impunément la défense, on peut tenir pour assuré que les comédies d’intrigue ou de caractère ne se piquent pas d’observer le précepte. Je ne vois pas ombre d’intention morale dans les Intrigues d’une soubrette, et, d’après les analyses que l’on nous a données de plusieurs autres pièces, je ne vois pas très clairement par où la morale s’y pourrait introduire. On dit même que plusieurs comédies d’intrigue sont choquantes, et contiennent des scènes dont la crudité ne le céderait pas à celle même de quelques-unes des comédies d’Aristophane. A la Chine comme chez nous, la première loi que s’imposent les auteurs dramatiques est de plaire; ils moralisent ensuite, s’ils le peuvent et comme ils peuvent. C’est autre chose, à la vérité, quand, sous le nom de morale, on prétend envelopper, comme le font quelques-uns, la conduite entière de l’existence, et, selon l’expression de M. Tcheng-ki-tong, « l’expérience des choses de la vie. » Mais je lui fais seulement observer qu’en ce cas, les Scapin aussi, et les Lisette, nos Suzanne et nos Figaro, ont leur « expérience des choses de la vie, » une expérience très étendue, très sûre, et, d’ailleurs, parfaitement immorale. Il ne s’agit que de s’entendre sur le vrai sens des mots.

Ces différences, comme on le voit, ne sont qu’à la surface, et dès que l’on essaie de les approfondir, je ne sais si l’on ne peut prétendre qu’elles se tournent en ressemblances. Entre notre théâtre et le théâtre chinois la seule différence réelle que je trouve, — sans parler, on l’entend bien, de celles que des institutions, des mœurs, des coutumes différentes y mettent, et qui ne sont rien d’essentiel, — c’est la différence du balbutiement de l’enfant à la parole de l’homme fait. Le théâtre chinois est l’œuvre d’une civilisation évidemment très ancienne, et, comme telle, très avancée à beaucoup d’égards, mais en beaucoup de points aussi demeurée dans l’enfance, ou, si l’on aime mieux, immobilisée de bonne heure dans des formes