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Les récalcitrans, les gens de difficultés, sans qu’il soit besoin de les contraindre, ou viendra bientôt à bout de leurs résistances par des moyens doux, par d’aimables vexations. On leur suscitera des tracasseries, on leur donnera mille ennuis, on leur fera des misères, on les dégoûtera de leur maison et de leur jardin. Les projets de loi abondent. Il en est un déjà en vertu duquel les médecins vaccinateurs, qui étaient jusqu’ici à la nomination des assemblées de cercles, seront dorénavant nommés par l’état ; les cercles n’auront plus que le droit de les payer, et c’est encore l’état qui fixera le chiffre des honoraires. Il paraît que ces médecins vaccinateurs étaient tous des agens secrets, des missionnaires du polonisme, et qu’avec la vaccine ils inoculaient aux petits enfans du grand-duché des regrets coupables et des espérances criminelles. Désormais ils seront tous Allemands, et on assure que le vaccin sera pris sur des vaches allemandes; encore faudra-t-ii qu’elles aient des papiers en règle. Après avoir réglementé la vaccine, puis les écoles, de règlemens en règlemens, on en viendra jusqu’à régler les conversations de famille, et la vie devenant insupportable, tout le monde demandera à s’en aller. Un homme d’esprit se débarrassait des visites ennuyeuses en faisant fumer sa cheminée; les fâcheux commençaient par pleurer, finissaient par se sauver. Grâce aux soins attentifs d’une administration qui ne connaît que sa consigne, avant peu, le vent se rabattant dans toutes les cheminées des châteaux polonais, elles se mettront toutes à fumer, et, de guerre lasse, la Pologne partira pour Monaco. La politique, a-t-on dit, est moins une science qu’un art; mais de la façon dont l’entend le chancelier de l’empire allemand, on ne peut la classer ni parmi les arts libéraux, ni parmi les arts d’agrément; ce n’est plus que l’abus de la force publique, employée par un ministre à se défaire de tout ce qui le gêne ou lui déplaît. Tel petit roi nègre de la côte occidentale de l’Afrique, pressé du même désir, recourt à des procédés plus expéditifs et plus violens; M. de Bismarck ne tue pas, il empêche de vivre.

Il en coûte toujours de faire la guerre. Pour réussir dans la campagne contre le polonisme, il fallait séparer les intérêts catholiques des intérêts polonais, et élever au siège archiépiscopal de Posen un prélat qui ne fût pas de la race et du parti des victimes. On a négocié avec le saint-père, on a obtenu la renonciation du cardinal Ledochowski ; son successeur est un Allemand, M. Dinder, chanoine à Kœnigsberg. Mais le pape Léon XIII ne fait jamais de concessions sans exiger du retour, et M. de Bismarck a dû se résoudre à de durs sacrifices. Il renonce aux lois de mai; il se dispose à démanteler ou à démolir de sa main tous les savans ouvrages de fortification qu’il avait élevés autour de la monarchie prussienne pour la protéger contre les empiétemens et les complots de l’église. Il supprime l’examen d’état