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dans les villes prussiennes de Dantzig, d’Elbing et de Kœnigsberg comme sujet temporaire de sa majesté le roi de Prusse et comme bourgeois temporaire des dites villes, à la condition qu’il professât la religion chrétienne, qu’il eût atteint l’âge de majorité, que sa réputation fût intacte et qu’il n’eût jamais encouru de peine criminelle. Il semble que, dans ce temps-là, on eût quelques égards pour les Polonais, qu’on se préoccupât d’atténuer, d’adoucir les douleurs du partage. Mais qu’est-il advenu de la convention de 1818? Où sont les neiges d’antan ?

A l’époque où cette convention fut signée, peu après le congrès d’Aix-la-Chapelle, Pozzo di Borgo adressait à son souverain l’empereur Alexandre un mémoire secret dans lequel il est dit « qu’en aspirant à la dignité d’un empire, la Prusse n’est qu’une réunion de plusieurs petits états, qui ne peuvent guère donner d’ensemble à leurs relations mutuelles, que sa conformation territoriale complique et compliquera éternellement sa politique, qu’elle sera inquiète, qu’elle ne pourra inspirer aucune confiance[1]. » On pourrait croire que depuis que la Prusse est devenue un puissant royaume et la suzeraine d’un grand empire, elle n’a plus lieu d’être inquiète. Mais l’inquiétude est dans certains cas un moyen de gouvernement, une méthode que M. de Bismarck pratique comme à plaisir, et il a des façons de se rassurer fort inquiétantes pour ses voisins.

Une partie de la presse allemande avait protesté contre les brutales expulsions décrétées par le grand homme d’état qu’un publiciste italien, au propos léger, n’a pas craint d’appeler « un barbare de génie. » Nous lisons dans une feuille hebdomadaire de Berlin « que les quelques centaines de ressortissans étrangers, qui gagnaient honnêtement leur vie à Breslau, à Dantzig, à Kœnigsberg, auraient pu y rester sans compromettre le sort de la monarchie prussienne, qu’ils n’étaient pas plus dangereux pour la nationalité allemande que les Français établis à Cologne, que les Anglais de Hambourg, les Suédois de Lubeck, les Hollandais de Crefeld. » Le parlement impérial, malgré les vives protestations du chancelier, s’est saisi à son tour de cette affaire et il a rendu son verdict. Il a jugé que la raison d’état n’autorisait pas de telles rigueurs contraires à l’humanité, et que la politique.de l’inquiétude ressemble souvent à celle du bon plaisir. Il a songé aussi aux représailles que pourraient exercer les états voisins, au sort et à la sûreté de tant d’Allemands qui vivent hors d’Allemagne. Mais M. de Bismarck ne se soucie guère des Allemands établis en pays étranger

  1. Recueil des Traités et Conventions conclus par la Russie avec les puissances étrangères, publié d’ordre du ministère des affaires étrangères, par F. de Martens, professeur à l’université impériale de Saint-Pétersbourg, tome III : Traités avec l’Allemagne, 1811-1824. Saint-Pétersbourg, 1885.