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comme de grands soupirs, des chœurs à l’unisson, soutenus et graves. Le fleuve s’anime tout entier : des sables de son lit aux remous scintillans de sa surface, il s’emplit de rumeurs. Sous les flots clairs passent en chantant de blanches formes de femmes : jeunes filles délaissées, pâles fiancées du Rhône, qui garde leurs amours trahies. Est-ce leur plainte qu’on entend ou celle du vent dans les roseaux, du courant contre les rives? La musique ici mêle la voix des morts à ces voix de la terre, des eaux, qui sont les voix de la vie universelle ; elle redouble l’effroi des mystères surnaturels par l’effroi des mystères nocturnes de la nature.

La nature ! Même à l’Opéra-Comique, les maîtres savent la rendre. M. Gounod excelle à faire chanter les bergers. Le chevrier de Sapho et celui de Mireille ont presque la même chanson aux lèvres; mais l’enfant grec et le pâtre provençal n’ont-ils pas un peu du même sang dans les veines et, sur leurs têtes brunes, un peu des mêmes rayons? Voilà enfin un tableau où rien n’a pâli des couleurs du poète ; au contraire : « Il y avait, dit Mistral, un vieux puits tout revêtu de lierre, où les troupeaux allaient boire. Murmurant doucement quelques mots de chanson, un petit garçon jouait sous l’auge, où il cherchait le peu d’ombre qu’elle abritait; près de lui, il avait un panier plein de blancs limaçons. » c’est un coin de paysage, un premier plan sans lointain. Mais si vous écoutez la cantilène d’Andreloun et la Musette qui l’encadre, aussitôt la perspective recule et l’horizon se découvre. Ces quatre pages, avec celles que nous avons louées, suffiraient à l’honneur de Mireille. Ce hautbois, cette voix d’enfant perdue dans la solitude, disent ce que dans Mireille aucune voix n’avait dit encore : le pays provençal, sa terre poudreuse et son ciel flamboyant, la langueur des journées brûlantes et, dans l’ombre étroite des cyprès, la sieste des pâtres allongés sur leurs vêtemens roux. Ce que toute une partition n’avait pu faire, une mélodie le fait en quelques mesures. La poésie d’une contrée, la beauté d’un ouvrage peut donc tenir dans une chanson, comme une roseraie de Provence dans un flacon de parfum !

Il est deux ordres de sujets dont s’est inspiré volontiers l’opéra comique moderne : la mythologie et l’Orient. Sous devons à la Grèce Philémon et Baucis de M. Gounod et Galathée de M. V. Massé; à l’Orient : Lalla-Roukh, de Félicien David, la Statue, de M. Reyer, et le Caïd, de M. Ambroise Thomas.

M. Gounod a l’intelligence et le goût de l’antiquité : certains chœurs d’Ulysse, l’invocation à Vesta de Polyeucte, les stances de Sapho, sont des fragmens de marbre grec. Philémon et Baucis est une charmante pastorale, qu’on voudrait seulement plus courte. Le premier acte suffisait à cette douce légende de vieillesse ; le second