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Honneur que nos voisins, aujourd’hui comme jadis, ne peuvent que nous envier. Nous avons aussi notre langue musicale, abondante et facile, pleine de tours heureux, et sachant comme pas une se faire entendre à demi-mot. C’est à l’Opéra-Comique que de nos jours on l’a parlée le mieux.

Dans l’œuvre de M. Gounod, le Médecin malgré lui occupe une place à part. Il est malaisé de mettre Molière en musique, et trop facile à qui s’y hasarde, d’esquisser, comme l’a fait M. Poise avec son Amour médecin, un pastiche agréable et rien de plus. Molière a beau parler de cette comédie comme d’un « simple crayon, d’un petit in-promptu, » qui « devait aux airs et symphonies de l’incomparable M. Lully des grâces dont ces sortes d’ouvrages ont toutes les peines du monde à se passer; » n’encadre pas qui veut les crayons d’un tel maître. n’est-ce pas dans l’Amour médecin que Sganarelle dit de sa femme défunte : « Je n’étais pas fort satisfait de sa conduite, et nous avions le plus souvent dispute ensemble ; mais enfin, la mort rajuste toutes choses. Elle est morte, je la pleure : si elle était en vie, nous nous querellerions.» Voilà qui mérite autre chose que la petite musique rétrospective de M. Poise. Voilà le génie qu’il faut pénétrer, et s’efforcer de traduire, voilà le Molière auquel il faut se mesurer. M. Gounod l’a fait, et non sans honneur.

Il a donné, lui aussi, dans son œuvre, une part suffisante au pastiche ingénieux, à l’imitation de Lully, par exemple. Le premier entr’acte, la sérénade surtout, est délicieusement vieillote. Le chœur des médecins, sur les paroles mêmes de Molière, est un écho des solennelles entrées de la Cérémonie. Mais, à côté de l’esprit du temps, le compositeur a senti l’esprit de tous les temps, la puissance comique et cet admirable bon sens auquel, avec un étrange bonheur, la musique a su emprunter et même ajouter. Oui, le bon sens est dans cette musique. Il fait une réjouissante explosion dans ce chœur mais des fagotiers, qui termine le premier et le dernier acte; vraie morale de l’œuvre, protestât on joviale contre les billevesées et le charlatanisme, refrain de bonnes gens à leur affaire, qui ramassent du bois en criant à tue-tête :


Nous faisons tous ce que nous savons faire;
Le bon Dieu nous a faits pour faire des fagots.


Si les vers ne sont pas de Molière, le chant est digne de lui.

Dignes de lui encore, les couplets de la bouteille, guillerets et déliés comme la langue d’un buveur bon enfant. Le trio qui suit est écrit et dialogué finement, semé de ritournelles à la Mozart et