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Guillaume Tell, l’auteur de la Juive a fait aussi son Barbier de Séville.

Le maître par excellence de l’opéra, Meyerbeer, ne fut pas un des maîtres de l’opéra comique. L’Étoile du Nord et le Pardon de Ploërmel tiennent loin après la glorieuse tétralogie de Robert, des Huguenots, du Prophète et de l’Africaine.

Qu’est-ce que le Pardon de Ploërmel ? Une banale histoire sans drame ni passion : l’histoire d’un gars chercheur de trésors, d’un berger peureux et d’une pauvre folle. Il n’y a pas même ici la poésie d’un conte ou d’une légende locale. Le seul personnage original est la chèvre, et l’intérêt qu’elle excite est un peu puéril. Sa chèvre et son ombre, voilà tout ce dont s’inquiète Dinorah : elle endort l’une et joue avec l’autre. Aussi bien les folles sont presque toujours ennuyeuses, même au théâtre, et surtout en musique. Shakspeare seul a su parer de toutes les fleurs des eaux la bonde tête égarée d’Ophélie, tête charmante que M. Ambroise Thomas n’a pas découronnée. Le touchant Dalayrac avait aussi fait, de la folie de sa Nina, une rêverie mélancolique. Mais Dinorah du Pardon, Lucie, Catherine, au troisième acte de l’Étoile du Nord, sont des folles déplaisantes : des folles qui bavardent, folles à vocalises, avec échos dans la coulisse ou réponses à l’orchestre, notes piquées, valses chantées et dansées à la fois; folles artificielles, qui n’ont que l’extravagance, et non l’étrange et parfois profonde poésie des âmes troublées.

Dinorah semble aussi peu maîtresse de sa voix que de sa raison : gammes, trilles, fioritures lui échappent comme à un automate qui se dérange. Après ses duos avec Corentin, même après la valse de l’Ombre, dont la facture est cependant merveilleuse, on reste moins charmé qu’ébloui. Ce rôle est de pure virtuosité, étincelant et froid comme une fusée.

Le rôle d’Hoël n’a pas cette légèreté : il est emphatique et lourd. Et puis, dans le Pardon, tout vise trop à la grandeur : grand air, grand trio, grand duo bouffe. Tout veut être grand, et souvent n’est que gros : grosse gaîté, la gaîté de Corentin. Boïeldieu, dans la Dame blanche, Herold, dans Zampa, nous ont montré des poltrons autrement comiques. Gros effets d’orchestre dans cette partition, que l’on souhaiterait plus délicate. Fallait-il tant d’effort pour esquisser en musique un coin de lande bretonne, pour mettre dans des chansons de chasseur ou de faneur le parfum de la bruyère et des foins? Même la dernière scène de l’œuvre, la seule qui soit vraiment belle, est un peu trop vaste. Elle eût été plus belle ailleurs, où elle eût été plus vaste encore. Ailleurs, Meyerbeer eût donné des proportions gigantesques à ce défilé nuptial. Il eût fait