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prendraient-ils pas pour excuse la présence de son altesse royale ? La commission regrettait de ne pouvoir lui laisser continuer son voyage sans en référer aux états. Son altesse royale était libre de retourner à Nimègue. La princesse déclara qu’elle attendrait la réponse des états. Elle se résolut à passer la nuit à Schonhoven. Une garde d’honneur lui fit escorte : MM. de Witt et van Toulon l’accompagnèrent pour tout lui faciliter. Il était près de minuit quand on atteignit la ville. Wilhelmine de Prusse écrivit sans tarder au greffier des états pour se plaindre du retard apporté à ses projets. Digne dans le ton et modérée dans la forme, sa lettre rendait hommage à la conduite des commissaires : les convenances envers elle avaient été scrupuleusement observées, et particulièrement par M. de Witt, qui avait été l’orateur de la commission.

Le vendredi, à huit heures du matin, les messages de la princesse parvenaient à La Haye. La confusion y était grande parmi les orangistes. Tous ceux qui étaient dans le secret s’étaient rendus, la veille au soir, à la maison du bois où devait descendre la princesse. Sir James Harris, obligé de dîner à l’ambassade de France, n’avait pu les accompagner : « Il n’y eut personne dans la société qui ne remarquât le trouble dont il était agité. » En rentrant chez lui, il reçut la nouvelle de l’incident de Schonhoven et s’occupa des mesures à prendre. Tous ses efforts furent inutiles : les amis les plus dévoués semblaient stupéfaits ou terrifiés. Les états de Hollande entrèrent en séance pour avoir connaissance des lettres de la princesse. La discussion ne fut terminée que vers cinq heures de l’après-midi. L’ordre donné par la commission souveraine fut pleinement approuvé.

Le bruit se répandit soudain à La Haye que le rhingrave de Salm marchait sur Schonhoven pour s’emparer de la princesse et la garder comme otage. Sir James Harris pria le baron de Kinckel de se rendre auprès de la princesse pour la supplier de retourner en Gueldre. Wilhelmine de Prusse avait déjà quitté Schonhoven quand M. de Kinckel la rejoignit. En s’approchant de Nimègue, la princesse fut reçue avec enthousiasme aux cris mille fois répétés de : « Vive Orange ! » — « Les patriotes eux-mêmes arboraient les couleurs stathoudériennes. La foule devint presque impénétrable. Le dimanche fut un jour de joie et de dévotion[1]. »

Sir James Harris ne partageait pas cette satisfaction. Il ne voyait que les suites immédiates de cette tentative avortée : « Mon cher lord, écrivait-il au marquis de Carmarthen, échec à la reine, et, dans deux coups, échec et mat : voilà, je le crains, l’état de notre jeu ! — l’incident peut être bon, répondit lord Carmarthen : si le

  1. Récit de M. de Kinckel.