Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grâce à elle. » Pour amener l’entente entre l’Angleterre et la Prusse, sir James Harris n’eut pas recours au ministre de Prusse à La Haye, M. de Thulemeyer, qu’il regardait comme vendu à la France; il s’adressa à M. Ewart, secrétaire de l’ambassade d’Angleterre à Berlin, qui, sous la direction apparente de lord Dalrymple, titulaire du poste, menait effectivement les affaires. » Si l’Angleterre et la Prusse sont d’accord, la république et la maison d’Orange peuvent être sauvées, » disait sir James Harris le 5 septembre 1785.

Le jour même où le ministre d’Angleterre écrivait ces lignes, s’était passé à La Haye un malheureux incident qui devait aggraver encore la situation très critique de Guillaume V. La populace orangiste de la ville s’était soulevée, sans que le stathouder, commandant de la garnison, prît aucune mesure pour faire marcher les troupes contre les séditieux. Le conseil député des états de Hollande, représentant légal du souverain, en l’absence des états, avait dû donner l’ordre aux soldats de dissiper les émeutiers. Le prince se plaignit avec aigreur de ce qu’il appela une usurpation. Les états approuvèrent la conduite de leurs délégués. Guillaume V, irrité, se décida à quitter La Haye avec sa famille. La princesse d’Orange eut avant son départ, avec sir James Harris, une conversation longue et précise. « Le sort de la maison d’Orange va se décider vite, lui dit-elle ; ni intervention, ni secours ne peuvent nous sauver. Je quitte La Haye, pour n’y revenir peut-être jamais. Je crois au prince trop d’élévation pour qu’il accepte le rôle d’un stathouder en peinture. » La maladresse des amis de Guillaume V allait faciliter encore la tâche de ses adversaires. Le 17 mars 1786, une nouvelle émeute fomentée par les agens stathoudériens éclata dans les rues de La Haye. La populace s’efforça de jeter à l’eau deux des principaux patriotes, MM. de Gyzelner et Gevaerts, qui ne durent la vie qu’à leur courage. Les états de Hollande, pressés par les événemens, conférèrent « provisoirement » le commandement de la garnison de La Haye, à leur conseil député. Le 27 juillet 1786, malgré les efforts des cours de Londres et de Berlin, unies dans cette circonstance, la question était définitivement tranchée. A la majorité de 10 voix contre 9, le commandement de La Haye était enlevé au prince stathouder, en faveur duquel 3 voix seulement se déclarèrent d’une manière précise. Guillaume V, en recevant cette nouvelle, se livra à un violent accès de colère. Il prit son chapeau, le jeta par terre et le foula aux pieds.

« Il n’y a pas lieu de craindre que Sa Majesté prussienne fasse plus qu’elle n’a fait jusqu’à présent, déclarait au printemps de 1786 M. de Vergennes au marquis de Vérac. Ce prince ne sacrifiera point sa politique et ne compromettra point ses forces pour procurer quelque avantage au stathouder. » Les patriotes triomphaient.