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III.

La France et l’Angleterre ont ce malheur que leurs agens diplomatiques se combattent alors même que leurs chefs d’état s’entendent. Dans tous les pays du monde, les représentans français et anglais sont naturellement portés à une jalousie réciproque. Rivalité d’influence et de position, rivalité de fortune, rivalité de cour et, pour tout dire, rivalité d’antichambre même. « Je n’écrirais plus jamais une dépêche, si je recevais l’ordre de plaire à la France, de l’approuver ou de coopérer avec elle, » écrivait, dans un mouvement d’enthousiasme gallophobe, sir James Harris, nommé à la légation d’Angleterre à La Haye, au moment même où M. de La Vauguyon quittait l’ambassade de France. Sir James Harris eût tenu parole. Il avait pour la vérité le ferme respect qui caractérise la race anglaise. Partisan dévoué de Fox, il n’avait consenti à accepter le poste de La Haye, sous le ministère Pitt, que sur l’avis formel de ses amis politiques. Le grand homme qui gouvernait alors l’Angleterre ne croyait pas que, pour bien servir son pays, il fût nécessaire de penser comme lui sur toutes les questions d’ordre intérieur. Il s’était fait honneur en donnant cette marque de confiance à un adversaire : sir James Harris se fit honneur également par la manière dont il remplit sa mission.

M. de Vérac, le nouvel ambassadeur du roi auprès des états, n’avait pas l’activité hardie de sir James Harris ; c’était un épicurien, aussi aimable qu’instruit, et qui ne manquait pas de certaines qualités de représentation. Quant aux affaires, insouciant, paresseux, négligent, non sans une certaine faconde, il se passionnait volontiers pour une cause, quitte à ne rien tenter pour la faire triompher. Sir James Harris et le marquis de Vérac se trouvaient, par le fait, chefs des deux partis qui se disputaient les Pays-Bas. C’était au ministre de l’Angleterre que les stathoudériens s’adressaient dans toutes les crises ; c’était auprès de l’ambassadeur de France que les patriotes venaient chercher conseil et protection, malgré leur indépendance ombrageuse. M. de Bleiswyck, grand pensionnaire de Hollande, devenu patriote par crainte, s’efforçait de servir la cause de ses nouveaux amis, sans se brouiller avec personne. MM. van Berckel, de Gyzelaer, Gevaerts, pensionnaires d’Amsterdam, Dordrecht et Haerlem montraient plus de courage, mais moins d’habileté. C’était en parlant, sans cesse, de son propre courage et de sa propre habileté, que le rhingrave de Salm était parvenu à fixer l’attention publique. Frédéric III, wild et rhingrave de Salm-Kyrburg, avait rang parmi cette foule de petits souverains qui, placés entre