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à l’attention de leurs concitoyens. C’est ce que les signataires de l’union d’Utrecht avaient bien compris. Mais il eût fallu déterminer d’une manière précise les devoirs et les droits du stathouder, établir avec netteté sa part dans le gouvernement et fixer ses prérogatives. Des circonstances fâcheuses ou de coupables négligences ne le permirent pas, et pendant deux siècles les Pays-Bas turent troublés par des luttes de parti toujours violentes et parfois sanglantes. D’un côté, le stathouder, s’appuyant sur l’armée et sur six des provinces, suivi par la majorité de la noblesse, adoré par la populace, protégé par l’Angleterre. De l’autre, la province de Hollande, alliée naturelle et héréditaire de la France, gouvernée par une aristocratie municipale riche et puissante, soutenue par la marine qu’elle favorisait, suivie par un bataillon de villes, entre lesquelles se distinguait Amsterdam.


II.

« Vous êtes heureuse, ma nièce, vous allez vous établir dans un pays où vous trouverez tous les avantages attachés à la royauté sans aucun de ses inconvéniens. » Telles furent, raconte-t-on, les dernières paroles adressées, au mois d’octobre 1767, par Frédéric le Grand, roi de Prusse, à sa nièce Frédérique-Sophie-Wilhelmine, qui venait d’épouser Guillaume V, stathouder des Pays-Bas. Une révolution profonde s’était, en effet, opérée dans les provinces vers le milieu du XVIIIe siècle. Le stathoudérat, supprimé en 1702 après la mort de Guillaume III, et sous l’influence du vieux parti aristocratique, avait été rétabli en 1747, à la suite de l’invasion française et des troubles qu’elle avait amenés. Bien plus, le 16 novembre de cette même année, les états de Hollande et de Westfrise, « comprenant que la république ne pouvait exister sans un chef éminent, » avaient déclaré cette dignité héréditaire dans la maison d’Orange-Nassau, au profit des descendans légitimes des deux sexes du stathouder Guillaume IV. « Par cette révolution, dit Voltaire, les Pays-Bas devinrent une sorte de monarchie mixte. » Mirabeau va plus loin. « Maintenant des femmes allaient devenir généralissimes par droit de naissance, et les Bataves, ces fiers Balayes, courbèrent la tête sous le plus fatal désordre, sous la prérogative la plus humihanle de la monarchie même illimitée. » Malgré Voltaire et malgré Mirabeau, les patriciens hollandais et avec eux la cour de France, s’obstinèrent à ne voir dans M. le prince de Nassau-Dietz que le « premier citoyen et le premier serviteur de la république. »

Mais la jeune princesse prussienne qui venait de s’unir à Guillaume V