Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

condamnent les exercices auxquels il s’est peu à peu abaissé, mais qui n’en font pas moins une impression vive sur le vulgaire.

Les rahmanya, dont la formation ne date pas d’un siècle et qui, seuls parmi les sectes que nous aurons énumérées n’ont pas avec les kadrya une filiation bien établie, ont pris surtout à l’est d’Alger, dans la province de Constantine et en Tunisie un développement considérable. Ils dérivent de l’ordre des kbelouatya, secte ancienne dont une branche, bien connue en Égypte, les hafnaouia, est d’origine chadelienne. Nous sommes porté à croire que Si Abd-er-Rahman, surnommé bou Kobrin et fondateur de l’ordre qui porte son nom, était affilié à celui de Chadeli; en tout cas, j’ai entendu désigner du nom de kadrya les rahmanya en Tunisie.

Ce qui n’est pas douteux, c’est la propension qu’a cet ordre à se multiplier dans la régence et son caractère peu favorable aux chrétiens : il y a donc lieu de le surveiller si nous ne pouvons nous le concilier. Il est déjà très divisé. Les rivalités s’y entretiennent d’elles-mêmes : la branche de Si Youssef bou Adjar domine au Kef, à la Kessera, en Kroumirie, dans la moitié du cercle de La Calle, la moitié des cercles de Soukaras et de Tebessa, tandis que la branche de Si Ali ben Azouz occupe le Djerid, les Ziban: si l’une de ces fractions se soulève, nous pouvons lui opposer l’autre ou, tout au moins, nous assurer son abstention. Nous avons fait cette épreuve en Algérie ; rien ne montre mieux l’intérêt qu’ont nos administrateurs à connaître la constitution des ordres religieux. En 1865, seuls, les affiliés de Si Ali ben Azouz ont agité le sud ; ils ont laissé faire sans eux, dans le Nord, l’insurrection de 1871, à laquelle les gens de Si Youssef bou Hadjar ont pris une part si considérable.

Sans ces divisions, le danger, qu’il ne faut pas méconnaître, serait grave, car les rhamanya ont une organisation qui les rendrait, sous une direction habile et unique, très redoutables : leur discipline est plus stricte encore que dans les autres ordres; ils ont des peines, des récompenses, des distinctions hiérarchiques comme s’ils faisaient partie d’une armée.

Nous ne parlerons pas des ouled-sidi-cheikh, dérivés connus en Algérie des chadelya ; nous rappellerons toutefois leur nom, parce que, eux aussi, sont partagés en deux fractions irréconciliables ou soffs.


III.

Avec le temps, la discorde s’est donc mise non-seulement entre ces différens ordres, mais entre les principales familles d’une même secte. — s’il y a pour nous dans ce fait un avantage dont nous devons user, les musulmans clairvoyans ont pu y voir la menace d’une désagrégation