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recrute les jeunes gens qui présentent les signes auxquels devra se reconnaître le mahdi et les prépare à pouvoir jouer, le moment venu, le rôle de rédempteur, dont la politique arabe n’est que trop portée à se servir.

On comprend le secours qu’un pouvoir respecté comme celui des descendans de Mouley Taïeb peut prêter au souverain; mais on comprend aussi les dangers d’un pareil secours. Le jour où un successeur du chérif ne se trouva plus lié au sultan par les devoirs d’une parenté étroite, il n’en resta pas moins indépendant et tout-puissant à côté du trône. — Nous avons vu le chérif d’Ouazzan en donner la preuve la plus surprenante en sollicitant récemment la faveur d’être inscrit comme protégé français par notre ministre à Tanger. Le grand-maître des Mouley Taïeb ne s’est pas contenté de la force qu’il tenait de l’importance de son ordre : par une combinaison hardie, il a confié la défense de cet ordre à la nation chrétienne dont l’influence au Maroc est prépondérante.

A-t-il agi sagement? Oui, s’il fait accepter, comme cela semble être, son plan par ses coreligionnaires, s’il ne provoque pas la discorde parmi eux et la formation d’une secte dissidente réactionnaire.

Quant à nous, en l’accueillant, nous nous sommes concilié officiellement le chef d’une secte puissante, qui pouvait, s’il nous avait été hostile ou s’il avait été dirigé contre nous par quelque agent étranger militant, comme il en a existé à Tunis et ailleurs, nous créer à notre frontière algérienne de grands embarras. Ce danger prévenu, nous avons tout intérêt, à présent, à atténuer le plus possible les désaccords dont la conduite du chérif ne peut manquer d’être le germe, soit dans sa secte même, soit à la cour du sultan, soit dans les chancelleries des légations de Tanger. — c’est à la condition que nous ne la laisserons pas devenir une cause de troubles et de conflits que la naturalisation de Sidi el Hadj Abdel Slam aura, pour la tranquillité du Maroc et de l’Algérie, d’heureuses conséquences.

C’est surtout dans leur mosquée de Kairouan qu’on peut voir les aïssaoua, dont les jongleries sont célèbres. Très nombreux en Algérie et en Tunisie, sans influence, on les considère généralement comme inoffensifs : ils se tiennent à l’écart de la politique et se montrent plutôt favorables qu’hostiles puisqu’ils nous laissent partout assister à leurs cérémonies. Ils dérivent des chadelya, dont ils ont altéré les doctrines par des pratiques barbares empruntées à des ordres orientaux, à l’ordre des saadya notamment, dont le cheik avait le privilège, au Caire, de passer à cheval sur les fidèles étendus à terre lors de la fête du Doleh. — Mahmed ben Aissa fonda son ordre, au XVIe siècle, au Maroc, à Mequinez; c’était, à l’origine, un ordre soufique pur; les musulmans éclairés, ses chefs eux-mêmes