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preuve que cette invocation : « Mon Dieu, ne me donnez que des enfans mâles et faites que mes bestiaux ne produisent que des femelles ! » De même, le caractère élevé des règles que la plupart des chefs d’ordre ont laissées après eux n’empêche pas toujours la discorde de se mettre entre les disciples, et ces disciples ou leurs mandataires de commettre de graves, de honteux abus.

Le budget de chaque secte est, comme on pense, des plus arbitraires : nul ne connaît le détail des dépenses ; et, quant aux recettes, il en est d’elles comme de l’impôt en Orient, elles sont trop souvent perçues par bien des mains. Chaque frère doit sa cotisation ou ziara, une somme fixe dont le paiement est obligatoire pour tous. Il arrive que plusieurs mokaddems, parmi lesquels il faut renoncer à savoir quels sont les imposteurs, se présentent pour la réclamer ; en outre, ils demandent aux fidèles, sous forme de diffa ou hadia, des dons, des offrandes sans fin. Ces quêtes ont été poussées à un tel excès, en Algérie, que M. Albert Grévy avait cru devoir, mais en vain, les interdire en les assimilant à des actes de mendicité.

En principe, les cotisations doivent être levées avec discrétion et envoyées scrupuleusement à la maison mère, à Bagdad, par exemple, s’il s’agit des kadryas. On comprend que, dans un si long trajet, il reste de l’argent en route, s’il est vrai surtout, comme disaient avec philosophie les Tunisiens, que les percepteurs de deniers publics aient tous un trou dans la main,


II.

Les chadelya ou chedoulya sont les dérivés les plus directs, les plus purs des kadrya : ils ont conservé de la doctrine tout ce qu’elle avait de mystique et d’élevé. Si Ahsen ali Chadeli, né au Maroc en 571 de l’hégire (1175 de J.-C), avait eu pour maître un élève d’Abou Médian, lequel fut l’ami et le disciple d’Abd-el-Kader-el-Djilani. Cet Abou Médian avait déjà répandu dans tout le sud de l’Espagne, à Séville, à Cordoue, puis dans le Maghreb, à Bougie, l’enseignement de son vénéré contemporain ; Chadeli n’était âgé que de vingt-deux ans quand la mission de continuer sa propagande lui fut confiée. Très populaire à Tunis, où il fit ses débuts, puis au Caire, où il s’établit, sa vie fut un pèlerinage presque ininterrompu ; il mourut sur le chemin de La Mecque, quelques journées avant d’atteindre Souakim, à Homaïthara, où son tombeau, comme celui d’Abd-el-Kader à Bagdad, attire chaque année de nombreux fidèles. Depuis sa mort, dit M. Rinn, ses doctrines sont invoquées par presque tous les ordres modernes, et sa notoriété est telle que souvent les musulmans le désignent comme la souche