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donne comme inspiré de Dieu : il a été témoin d’un miracle, il a été choisi pour recevoir d’en haut « la révélation ; » mais les musulmans éclairés ne se contenteraient pas de cette investiture divine invoquée par un novateur qui ne ferait pas connaître les origines scientifiques de sa doctrine. La révélation augmente le prestige du chef de secte, la chaîne seule le justifie : elle est la base de son enseignement, son acte de foi.

En même temps que la chaîne, le fondateur rédige, s’il ne l’a pas reçu directement par la révélation, ce qu’on appelle un deker ou dikr, — une formule, une courte prière qui distinguera son ordre entre tous, qui permettra aux adeptes de se reconnaître les uns les autres : c’est un signe ou un mot de ralliement, tel que : «Il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu, » ou simplement : « Dieu ! » répété un certain nombre de fois. Le plus souvent, le deker contient plusieurs invocations laconiques combinées de telle sorte que toute confusion soit impossible. Aussi, on ajoutera aux mots précédens qu’il faudra dire cent fois ceux-ci : « Je demande pardon à Dieu, le souverain maître, la justice! » puis, « Dieu me voit. » On devra prononcer ces mots dans des postures, avec des intonations rigoureusement déterminées. Un deker est généralement composé aujourd’hui de dekers empruntés à d’autres sectes et modifiés : c’est, avec la chaîne, un moyen d’ affirmer cette orthodoxie dont il ne faut pas s’écarter. Senoussi passe pour avoir adopté quarante et même soixante-quatre dekers différens. — Le deker ne se confond pas avec la prière.

Avant même d’avoir arrêté la forme de son deker et tous les anneaux de sa chaîne, le fondateur peut commencer ses prédications : s’il réussit, si sa parole trouve de l’écho, il s’entoure de fidèles auxquels il communique ses plans d’organisation; il construit généralement, sur le produit des offrandes et des quêtes, ou il s’approprie une zaouïa, mosquée, séminaire, école, maison mère de l’ordre, où il se fixe, d’où il donne ses directions tout en y continuant son enseignement. Les succursales se multiplient en proportion de l’importance de la confrérie et conservent ce nom si répandu de zaouïa. Le chef prend le titre de grand-maître ou cheik et désigne souvent, de son vivant, son successeur, lequel devient « le khalifa du cheik, » ou, par extension même, le cheik. Si ce successeur est très jeune, il lui choisit des tuteurs, des maîtres, de façon à ce que l’ordre ait toujours, en même temps qu’un chef, un directeur effectif et capable. Dans certains cas, le cheik confie aux mokaddems, réunis en assemblée, l’élection de ce successeur. Les mokaddems sont les apôtres, les envoyés, les ministres du cheik : c’est avec eux surtout que sont en rapport les khouans, à eux qu’ils paient leurs cotisations, apportent les offrandes, demandent