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n’est pas l’une, c’est l’autre qui a converti déjà la plupart des peuples païens des régions équatoriales. Il convient donc de les connaître, quelles que soient dans l’avenir nos ambitions coloniales, qu’il s’agisse pour nous de continuer à conquérir ou simplement de conserver. — Un séjour de plusieurs années dans l’Afrique du Nord m’a permis sinon d’arriver à ce résultat, — ces sociétés ne sont complètement connues de personne, — au moins de dégager d’un véritable chaos de faits quelques idées. Les sectes dont il s’agit, sectes sans nombre, sont insaisissables; elles n’ont pas de frontières: leurs adeptes sont presque toujours occultes vis-à-vis de nous et souvent nomades ; elles se manifestent par intermittences, se propagent irrégulièrement, traversent des déserts, semblent se perdre, puis reparaissent à l’improviste sur un point éloigné ; elles se fondent avec d’autres, se croisent, se ramifient, déguisent leurs doctrines, changent de nom.

Pour présenter ces quelques idées avec une utilité pratique, dans l’espoir que nos officiers et nos administrateurs en Afrique pourront en tirer parti dans leurs relations avec les Arabes, nous établirons dans cette étude, au risque de nous attirer des critiques, une classification. Celle que nous avons adoptée est très simple, elle se résume en peu de lignes : classer oblige à des sacrifices ; nous avons élagué, dans cette forêt vierge d’ordres qui se sont entés les uns sur les autres, ceux qui nous paraissent les moins importans. Après ce premier travail négatif et qui ne se trahit au lecteur que par l’absence d’un très grand nombre de pages remplies de noms arabes, nous allons jusqu’à réduire toutes les sectes à une seule : les kadrya. — Nous arriverons ainsi aux dérivés des kadrya, dérivés plus connus que la secte mère et plus influens : à cet ordre célèbre des chadelya-derkaoua, puis aux taïbya répandus surtout au Maroc, aux aïssaoua connus des voyageurs, aux rahmanya dont la filiation est incontestable, et pour finir, suivant une énumération chronologique, aux tidjanya nos alliés et aux senoussya nos adversaires les plus nombreux et les plus redoutés.

Cette classification a l’inconvénient de n’être pas parfaite : mais sans cette classification, le sujet aurait l’inconvénient d’être incompréhensible, ce qui est pire. Les lecteurs qui voudraient des données plus complètes, les plus sûres et les plus consciencieuses qui aient été publiées sur ce sujet, les trouveront dans un ouvrage de M. le commandant Rinn[1]. j’ai puisé dans ce livre le complément et la confirmation des renseignemens que j’avais recueillis. Ces renseignemens

  1. Marabouts et Khouan. — Étude sur l’islam en Algérie, par Louis Rinn, chef de bataillon d’infanterie hors cadres, chef du service central des affaires indigènes à Alger, 1 vol. in-8o, 1884; Adolphe Jourdan. À ce volume est jointe une carte.