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à changer la face des choses dans l’Ouest-Pacifique. Le capitaine Bridge rapporte[1] que dans les Nouvelles-Hébrides, les habitans sont en possession d’armes à feu de toute espèce et que les armes ont été importées par des bâtimens de la traite. Le cadeau usuel « offert » aux a amis » d’une recrue se compose ordinairement de fusils. Les travailleurs rapatriés de Queensland rapportent presque toujours d’excellens fusils de chasse. La poudre est devenue un moyen d’échange et sert de monnaie courante. l’habitude prise par les sauvages de se servir d’armes à feu et l’importation en grandes quantités de fusils de précision parmi eux produit des résultats funestes. Il est devenu plus difficile que par le passé de punir les crimes commis par les sauvages ; chaque entreprise de cette nature, toujours sur des terrains difficiles et inconnus, oblige à des préparatifs sérieux et expose à des pertes graves. Désormais pour châtier quelques sauvages qui ont tiré sur des blancs, il faut organiser une petite campagne. Comme les guerres entre tribus n'ont guère cessé, l’arme de précision est aujourd'hui l’article le plus recherché. Pour s’en procurer, les chefs offrent au recruteur les hommes et les femmes de leur tribu. Enfin les guerres entre insulaires sont devenues plus meurtrières. Le capitaine propose de prohiber absolument l’importation d’armes à feu à bord de bâtimens anglais, de donner aux commandans des croisières de la reine le droit de visiter les bâtimens de traite anglais et de saisir les fusils qu'ils y trouveraient, et il tâche de combattre d’avance l’objection qui consisterait à prétendre que cette mesure n’aurait pour conséquence que de faire passer aux pavillons étrangers le trafic des armes à feu.

Écoutons aussi des témoins qui ne sont pas anglais, mais dont les dépositions ne font que confirmer ce qu'on vient de lire.

Le capitaine Karcher, commandant d’un bâtiment de guerre allemand, écrit dans un rapport adressé au chef de l’amirauté à Berlin[2] : « Une cause perpétuelle de danger, c'est que les insulaires ne savent pas distinguer entre les différentes nationalités et cherchent à se venger des dommages causés par un blanc sur le premier blanc venu. Au dire de tout le monde, la faute en est à la conduite des recruteurs. Certes, on ne peut attacher une foi absolue aux récits des planteurs, mais si une partie seulement de ce que le consul m’a dit et de ce que d’autres affirment est vrai, le recrutement des travailleurs est simplement une traite d’esclaves. S'il faut en croire ces assertions, non-seulement les capitaines achètent

  1. A bord de l’Espiègle, Hanover-harbour (New-Hebrides), 27 avril 1843, Blue Books.
  2. En date de Batavia, 6 juillet 1883. Annexe au Report of the Western Pacific royal Commission.