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rapports à la loi de l’unité impériale. » M. Gladstone déclare avec gravité que le gouvernement nouveau ne déclinera pas ces questions, qu’il les mettra en ordre, qu’il considérera comme un de ses premiers devoirs de se rendre compte de l’état social de l’Irlande, en ce qui concerne les crimes, l’exécution des contrats, la liberté individuelle. En d’autres termes, le premier ministre propose ou promet une enquête préalable qu’on croyait déjà faite depuis longtemps, qui ne l’est pas à ce qu’il paraît, puisqu’il faut la recommencer, et sans laquelle on ne peut se faire « une politique d’ensemble. » Il ajoute aussitôt, il est vrai, que le nouveau cabinet n’a pas moins le vif désir d’examiner « s’il ne serait pas pratique de recourir à un système nouveau pour faire face à la situation de l’Irlande, pour subvenir à ses besoins tant sociaux que politiques… » Ainsi on ouvrira une enquête, on examinera les faits, on étudiera, on en viendra ensuite aux grandes mesures qu’on ne désigne pas plus clairement : cela peut conduire loin, et comme, chemin faisant, les incidens peuvent se multiplier, comme il est malheureusement trop vraisemblable qu’on ne fera jamais assez pour désintéresser et désarmer les Irlandais, ce sera toujours la même histoire. La question ne sera pas résolue parce qu’elle est à peu près insoluble entre deux nations qui ne vivent unies qu’en se détestant, qui ne pourraient se séparer qu’en se faisant l’une à l’autre d’irrémédiables blessures.

On ne peut certes méconnaître les intentions généreuses de M. Gladstone. On peut douter de la sûreté, de l’efficacité d’une politique qui, en se proposant de donner satisfaction à l’Irlande, ne fait qu’ajouter une question redoutable à bien d’autres questions, qui remuent tous les instincts populaires et même révolutionnaires, dans un moment où l’Angleterre, comme tant d’autres pays, se sent en face de tous les problèmes de la misère, d’une douloureuse crise du travail, des menaces de guerre sociale. Certes, le plus malencontreux incident qui pût se produire pour saluer l’avènement d’un ministère irlando-radical, c’est cette échauffourée, qui, il y a cinq jours, a troublé et effrayé Londres, déconcerté le gouvernement et laissé quelque stupeur dans la ville. Les ouvriers sans travail, et ils sont nombreux plus que jamais aujourd’hui, avaient résolu de se réunir pour formuler leurs doléances et soumettre leurs vœux au nouveau gouvernement. Ils se sont réunis en effet, ils se sont trouvés au rendez-vous, à Trafalgar-Square, et ils ont rédigé leurs plaintes, dont l’expression n’avait, d’ailleurs, rien de séditieux et de menaçant pour la paix publique. Jusque-là c’était un rassemblement populaire comme il y en a si souvent en Angleterre ; mais bientôt à cette manifestation, qui paraissait devoir rester pacifique, est venue se joindre ou se superposer une manifestation d’un autre genre préparée par un comité de révolutionnaires ou de démocrates socialistes, qui, survenant avec ses bandes, a fait.