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nous choquent moins que le reste, une fois pris le parti de suivre la fantaisie du poète dans son domaine : au moins là dedans tout est folie ; l’œuvre est homogène, elle se tient tout entière et de façon manifeste hors des limites de la raison comme au-delà des Pyrénées : cosas da España ! C’est que le drame romantique pouvait bien autrefois n’avoir pas tort contre la pseudo-tragédie de MM. Arnault, Lemercier, Viennet, Jouy, Andrieux, Jay, Leroy ; — eh ! quelle forme nouvelle, si vide qu’elle fût, ne devait pas prévaloir contre celle-ci ? L’imagination ne la colorait pas, la malheureuse, pas plus que ne l’emplissait la raison ; sa rivale, magnifiquement diaprée, l’éclipsait à peu de frais. Mais le drame romantique, dès lors, était faible contre ces argumens qu’il affectait de négliger et qui paraissent bien aujourd’hui les plus forts, contre de pénétrantes remontrances, que nous reprendrions tout au long s’il n’était déplaisant de triompher en trop de paroles, contre les jugemens d’une critique qui n’était pas dupe de la nouvelle doctrine et montrait comment elle se laissait contredire par les œuvres.

« Le caractère du drame est le réel, » déclarait Hugo dans la préface de Cromwell ; à la nature et la vérité, » la nature et l’histoire, voilà le fonds d’où il prétendait tout emprunter. Dans le deuxième acte de Marion, il donnait à entendre qu’il jouait la même partie contre les fauteurs des classiques qu’avait jouée autrefois Corneille contre les admirateurs de Garnier, de Mairet, de Hardy, de Théophile ; à deux cents ans de distance, le génie se retrouvait seul contre tous ; contre M. Jay et ses complices, à présent, comme autrefois, contre Boisrobert, Chapelain, Colletet, — « toute l’Académie enfin, » qui, à travers les siècles, devait rester la même, — et contre Scudéry.

Le malheur est que, si M. Jay et les autres étaient de trop piètres copistes pour qu’on les reconnût, ces soi-disant classiques, comme les héritiers de Corneille, Victor Hugo, non plus, ne continuait pas ce grand homme, mais bien plutôt ceux qu’il rejetait pêle-mêle dans le camp adverse. Déclamatoire, à l’occasion, et descriptif comme Garnier, emphatique comme Mairet, imaginatif comme Théophile, le chef des romantiques restaurait, sous le nom de drame, la tragi-comédie à l’espagnole, selon le goût de Hardy, voire de Scudéry et de Scarron. L’aventure n’est-elle pas piquante ? On proclamait une révolution selon l’esprit de Corneille ; le Cid, Hernani, à défaut de Marion, seraient deux étapes du génie dramatique français. Et, à l’heure même, on ne faisait qu’une émeute : et cette émeute, en jetant bas un simulacre de tragédie, ne remettait sur pied que ce vieux mannequin de la tragi-comédie qui avait grimacé jadis et gesticulé au gré de la fantaisie, en face des chefs-d’œuvre raisonnables de Corneille. C’est le souffle de