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des plus chaudes de la canicule. La Pennsylvania remontait lentement le fleuve, au nord de Ship Island, à peu près à 60 milles au-dessous de Memphis. Le steamer avait pris en remorque un chaland rempli de bois, qu’une partie de l’équipage était en train de vider. Le pilote Ealer était à son poste. Le mécanicien en second et un chauffeur avaient charge de la machine. Les commis dormaient, ainsi que le mécanicien-chef et le second. Les passagers, qui étaient nombreux, n’étaient pas encore sortis de leur cabine. Le capitaine Klinefelter se faisait raser sur le pont. Voyant que la provision de bois était embarquée et que le chaland était à peu près vide, le pilote sonna pour donner l’ordre de marcher en avant à toute vapeur. Une seconde après, quatre des chaudières, sur huit, firent explosion avec un fracas épouvantable, et un tiers à peu près du bateau, à l’avant, fut projeté en l’air avec les deux cheminées. Presque tous les débris retombèrent pêle-mêle sur le navire ; puis, au bout d’un instant commença l’incendie.

Quantité de gens furent jetés au loin par la force de l’explosion. Le charpentier, qui dormait, n’avait pas quitté son matelas, lorsqu’il se retrouva dans l’eau, à 25 mètres du steamer. Plusieurs personnes disparurent complètement, et nul ne les vit plus. George Ealer, le pilote, eut assez de présence d’esprit pour s’envelopper la tête dans sa jaquette ; il se sentit brusquement précipité et tomba sur les chaudières qui n’avaient pas éclaté, suivi de sa roue, et enveloppé dans un nuage de vapeur brûlante. De tous ceux qui respirèrent cette vapeur, aucun n’échappa. Mais Ealer, grâce à sa précaution, put en sortir intact, et se frayer un chemin jusqu’à l’air libre. Mon frère Henry et l’un de ses collègues avaient été jetés à l’eau. Leur premier mouvement fut de se diriger vers le rivage qui n’était qu’à quelques centaines de mètres. Mais tout à coup Henry déclara qu’il ne se sentait pas blessé, et revint vers le navire, dans l’espoir de se rendre utile. Il était atteint cependant et même mortellement.

À bord, l’incendie faisait des progrès. Les cris et les gémissemens remplissaient l’air. Beaucoup de gens avaient été brûlés, beaucoup aussi blessés. Un malheureux prêtre avait été coupé en deux par un levier de fer, au moment de l’explosion. Il mourut lentement, dans d’atroces souffrances. Un jeune enseigne de la marine française, âgé de quinze ans, fils d’un amiral, avait été brûlé affreusement ; il supportait avec courage des douleurs terribles. Les deux seconds, également couverts de brûlures, étaient à leur poste ; ils firent passer le chaland à la proue du navire, et, aidés du capitaine, ils repoussèrent les passagers qui voulaient l’envahir, pendant qu’on organisait le sauvetage des blessés. Mais